Les facteurs hollandais
Ainsi, au début du XVIIe siècle, la Hollande importe du papier d’écriture et d’imprimerie de l’Allemagne, de la France, de la Suisse et de Gênes. La principale raison s’explique par l’impossibilité de trouver dans ce pays du papier fin manufacturé. Les centres de distribution privilégiés pour la Hollande sont Anvers et Cologne. Cependant, comme les prix deviennent excessifs, des intermédiaires hollandais ou facteurs (factors) viennent en France, s’installent à demeure, particulièrement en Angoumois, ouvrent des entrepôts et commandent du papier pour le marché hollandais. Ce qui est remarquable, c’est qu’au début de ces activités papetières, le papier porte des marques françaises, mais dès les années 1630, les papiers faits spécifiquement pour ce marché commencent à porter des marques hollandaises, avec des contremarques françaises. Par exemple, vers 1635 et à la demande des Hollandais, la marque aux Armes d’Amsterdam fait son arrivée et elle semble n’apparaître que sur du papier fabriqué en France pour le marché hollandais. Vers 1674, il semble que les Hollandais qui fabriquent du papier dans leur pays se sont mis à utiliser cette même marque. Ainsi, notre corpus comprend 9 documents (corpus : 5 et Baby : 4) portant la marque aux Armes d’Amsterdam. Cette marque « comporte trois croisettes de Saint-André dans un écu surmonté de la couronne moscovite accosté de deux lions ». Un de nos documents présente la marque avec les initiales A J en cursives sous le filigrane et, en contremarque, les initiales I (ou J) R (ou B) non encadrées. Les lettres A J désignent Abraham Janssen, facteur hollandais établi à Angoulême, que nous retrouvons un peu plus loin.
Nous avons déjà brièvement décrit la vie sociale qui définit un ensemble papetier. Il est utile ici de préciser que trois à quatre catégories de gens gravitent en périphérie ou au moulin papetier. Sans ordre de priorité, nous retrouvons le(s) propriétaire(s) du moulin, le maître papetier, les ouvriers dont le nombre varie selon que le moulin comporte une ou plusieurs cuves et finalement le facteur qui joue le rôle d’intermédiaire entre le propriétaire et le maître papetier. Le facteur est, pour la plupart du temps, un bailleur de fonds, c’est-à-dire qu’il fournit le capital aux maîtres papetiers afin de faire fonctionner la (les) cuve(s). Le plus souvent il se contente d’acheter l’ensemble ou une partie de la production pour un an ou deux ans en assurant par des avances de trésorerie le fonds de roulement (le « cabal ») du papetier.
Ces intermédiaires jouent donc un rôle crucial dans la production et l’exportation du papier et, comme propriétaires des moulins pendant cette période, ils engagent des maîtres-papetiers français qui, par extension, travaillent pour le marché hollandais. Le papier produit dans cette région tout comme dans les régions voisines du Périgord et du Limousin se retrouve, pour la majeure partie de sa production, sous le contrôle et financée par les marchands flamands établis dans cette partie de la France.
Dynasties flamandes en Angoumois
Des dynasties (ou familles) de marchands flamands sont propriétaires de moulins français et commercialisent le papier produit par les maîtres-papetiers français qu’ils ont engagés. Dans cette section, nous n’insistons que sur le nom des marchands flamands en relation avec les maîtres
Les frères Christophe, Jean et Gaspard Vangangelt sont en Angoumois en 1636. Ils sont agents et négociants, entre autres, pour Girard Verduyn et Jean Gerritson d’Amsterdam. Christophe achète du papier de plusieurs moulins dont celui de Breuty, de Beauvais et de Nersac. Les Vangangelt vendent du « papier à des libraires ou des imprimeurs d’Amsterdam ». De nombreux procès opposent Christophe Vangangelt et Dericq Janssen au sujet du règlement des impôts sur le papier partant d’Angoulême à destination d’Amsterdam. Des arbitres sont choisis pour obtenir leur avis et Christophe Vangangelt choisit Philippe Gaultier, marchand bourgeois d’Angoulême, dont nous parlerons un peu plus loin. Vangangelt quitte Angoulême en mai 1647 et son frère Jean poursuivra les affaires, souvent au nom de Christophe.
François (Frans) Van Tongeren est à Angoulême vers 1660. Il achète du papier pour Pierre Haeck et Gilles Van Hoven, marchands à Amsterdam. Sa deuxième épouse, Marie Gaultier, est la fille de Denis Gaultier, marchand d’Angoulême. Également banquier, il est propriétaire du moulin de Beauvais où il fait travailler, entre autres, le maître papetier Jean Villedary. En 1721, son frère Pierre est propriétaire du moulin de Cottier et de Saint-Martin et il travaille également avec Jean Villedary.
Parallèlement à ces dynasties, des marchands individuels sont aussi actifs dans l’industrie papetière, mais la plupart d’entre eux retournent en Hollande après quelques années en France. C’est le cas d’Abraham Wesel et de Gilles Van Hoven dont nous reparlerons. En dépit du fait que le gouvernement français souhaite protéger son propre marché et tente de prévenir les succès d’Amsterdam comme distributeur principal du papier, certaines familles françaises participant au commerce du papier deviennent partenaires de familles flamandes dans ce type d’industrie. Ceci peut s’expliquer par le fait que la plupart de ces familles françaises sont protestantes ou huguenotes, tout comme les Flamands. Comme nous le verrons dans la prochaine section, l’exemple de la famille Gaultier, famille de marchands papetiers et de religion protestante, est éloquent à ce sujet.
Source : Le papier voyageur, de Céline Gendron.