Boubon
Le voyageur, qui descend du train pour venir à Rochechouart et sort sur l'esplanade de la gare, trouve, devant ses yeux étonnés, un très bel et vaste horizon. La vue, à l'est et au midi, s'étend à 15 ou 20 kilomètres à la ronde et est bornée par une ceinture de collines de 4 à 500 mètres d'altitude.
A quelques centaines de mètres en deça de ces collines qui séparent le Limousin du Périgord, sur leur flanc septentrional, au milieu de taillis de châtaigniers, auprès d'un étang, se trouve un modeste village. Ce village n'attire point l'attention du voyageur hâtif. Cependant il mérite particulièrement d'attirer celle de l'homme toujours prêt à recueillir ce qui a fait autrefois la gloire du Limousin, sa petite patrie, je veux parler du village de Boubon, actuellement paroisse et commune de Cussac. Pour pouvoir ressusciter l'histoire du passé, je m'inspirerai largement de l'ouvrage de MM. Etienne Rayet et l'abbé A. Lecler : Boubon, Monographie d'un monastère de Fontevrault au Diocèse de Limoges (1106 à 1792). Pour parler du piésent, je m'inspirerai seulement de mes observations personnelles.
I. Boubon autrefois
(Locus Bobonis. — Monasterium Beatœ Mariœ de Bulbonio) Le monastère de Boubon était un des plus anciens de l'ordre de Fontevrault (département du Maine-et-Loire, près de Saumur.) Le fondateur de cet ordre, Robert d'Arbrissel, passant par le Limousin, reçut en 1106 de Pierre de Montfrebœuf, de Itier de Bernard et de Aimeric de Brun (Montbrun) « une foret distante de six à sept lieues de Limoges, dans laquelle il jeta les fondements du couvent de Boubon, où il fit venir bientôt après des religieuses. » (1).
Les noms des religieuses à cette époque de la vie monacale à Boubon, nous sont complètement inconnus. C'est seulement en 1257, plus de 150 ans après la fondation, que nous trouvons le sceau d'une prieure, sur un acte de donation. Ce sceau porte une croix autour de laquelle on lit : « Sigillum Petronille priorisse de Bobonis. »
La communauté, en effet, avait à sa tête une prieure élue par toutes les religieuses et dont le choix devait être approuvé par l'abbesse générale de Fontevrault. Cette prieure était élue pour trois ans, mais pouvait être nommée de nouveau. Voici les noms de celles que nous avons pu recueillir, après celui de Pétronilio.
En 1644, Marie Dupuisgasty ; en 1660, Henriette de Lambertie, de la branche de Marval ; en 1690, Henriette de Lambertie, nièce de la précédente. De 1692 à 1697, Charlotte de Coustin du Masnadaud. fille d'un subdélégué des maréchaux de France dans toute l'étendue de la justice de Limoges et la vicomté de Rochechouart. En 1698, Marie de Villoutreix ; de 1704 à 1708, N... de Lavaud. En 1714, de 1719 à 1721 et de 1724 à 1725, Marie de la Cropte de Chassaigne. De 1715 à 1719, de 1722 à 1723, de 1727 à 1730 et de 1735 à 1736, Renée de Lambertie, de la branche de Marval. De 1732 à 1734 et de 1737 à 1738 N... de Séchères. En 1738, passagèrement, Marie de Croizant, remplacée bientôt par Henriette d'Asnières de Saint-Palais. En 1744-1746-1747, Marie Perry de Saint-Auvent dont la famille était alliée aux Rochechouart. En 1748-1758 et en 1765, Gabrielle d'Asnières de la Gélisant. De 1759 à 1762, et de 1769 à 1775 Catherine de la Breuille de Chantrezat ; de 1775 à 1778, Marie de Masfranc de la Domaise ; de 1779 à 1781, Henriette de Rocquart de Lage ; de 1787 à 1788, Anne Julie de Sainton, grande dame qui se cachait sous ce nom modeste, mais qui en réalité se nommait Julie Bouillon de la Tour d'Auvergne. De 1788 à 1791, Anne Julie Saunier. Enfin, en 1791 le 13 mars, sous la présidence de M. Glénisson, maire de la commune et conformément à l'article 26 du titre II du décret de l'Assemblée Nationale, était élue la dernière prieure Jeanne Françoise Catherine de Coustin de Masnadaud.
Mais reprenons l'histoire du monastère. Celui-ci était bâti sur le grand chemin qui conduisait du Limousin dans le Nontronais en passant tout près du château de Montbrun. Sous le régne de Charles VI, il fut détruit par les Anglais. Fut-il brûlé comme Montbrun ? Nous n'avons aucun renseignement à ce sujet. On sait seulement que les religieuses furent obligées d'abandonner leur couvent pendant près d'un siècle. Cependant un religieux du même ordre et dont le monastère se trouvait à 200 pas environ de celui des religieuses, parait y être toujours resté, avec le titre de prieur, pour veiller aux intérêts matériels et administrer les biens.
Le couvent « fut rebâti par les seigneurs de Pompadour et de Lastours, qui en sont aujourd'hui reconnus fondateurs ; et ceux de Peyrusse des Cars, de Saint-Auvent et de Champagnac-sur-Gorre, de Maumont, de Montbrun, de Gramaud en sont insignes bienfaiteurs... » (2).
Le 18 septembre 1528, la mère abbesse générale de l'ordre de Fontevrault, princesse royale Renée de Bourbon (3), envoya sept religieuses qui reprirent possession de Boubon. Jean de Bermondet, chanoine et chantre de l'église de Limoges, en percevait alors les revenus. Un arrêt du Grand Conseil, le 26 mars 1539, l'obligea à délaisser ce bénéfice dont les revenus appartinrent de nouveau à la communauté de Boubon.
Déjà ce lieu n'était plus un endroit retiré et sauvage comme au moment de sa fondation. Les ruisseaux avaient été arrêtés par des digues, formant ainsi deux étangs dont le plus considérable faisait marcher un moulin. Des étrangers vinrent s'établir tout autour et formèrent bientôt un village et le monastère en fut bientôt la providence visible. Les religieuses ouvrirent un pensionnat où les familles nobles du pays envoyèrent bientôt leurs filles, pour y faire de fortes études ou même pour s'y consacrer à Dieu.
La bourgeoisie suivit bientôt l'exemple, et au milieu du XVIIIe siècle, Boubon était le rendez-vous de toutes les familles riches du pays. « Malgré l'éloignement des grands centres studieux où se trouvent bien plus facilement tous les moyens d'instruction, disent MM. Rayet et Lecler, page 13, les jeunes filles faisaient dans ces solitudes de très bonnes études. Les souvenirs des vieillards qui en parlaient encore 50 ans après la catastrophe en ont rendu le témoignage. Ceci ne peut surprendre lorsque l'on voit le Frère Soriz louer en 1707 « les mères maîtresses qui élèvent les pensionnaires », leur dire « qu'elles ont toute l'habileté qu'on peut souhaiter, qu'à peine trouverait-on dans les monastères des grandes villes des personnes plus capables. »
Boubon faisait alors partie de la paroisse de Cussac et était à une distance de 5 kilomètres de l'église. A cause des difficultés du chemin, les habitants, les religieuses et le curé de Cussac luimême demandèrent que leur territoire fût érigé en paroisse. C'est ce qui fut fait en 1692, et le vocable de l'église fut SS. Côme et Damien, que l'on fêtait le 27 septembre.
Cette paroisse ne fut jamais bien importante. Elle comprenait les villages des Champs, de Négrelat, de Graffeuil, de Vergnolas et de Parade. En 1762, par conséquent 70 ans après sa fondation, sa population était seulement de 115 habitants avec 80 communiants ; en 1785, elle était de 150 habitants. Cependant le Pouillé de Nadaud (je ne sais à quelle date) indique 227 habitants et 170 communiants.
Au commencement, les cérémonies eurent lieu dans la chapelle Saint-Jean, l'ancienne église des religieux. Peu de temps après, pour des raisons que nous ne connaissons pas, elles se firent dans celle des religieuses.
En 1785, l'intendant de la généralité de Poitiers fit dresser une statistique détaillée des paroisses de son ressort. On sait que la vicomté de Rochechouart, comprise dans l'élection de Confolens, bien que du diocèse de Limoges, était poitevine au point de vue féodal et administratif. Ce fut M. Dalesme, vicaire-régent de Boubon, qui répondit au questionnaire qui lui fut adressé et que nous allons donner en le résumant. « Il y a dans la paroisse, y compris les Dames de Font-Evraud, vingt-huit feux. Y compris la communauté, il y a cent cinquante habitants. - Le pays est très mauvais, pays de montagne, aride, marécageux, pays de bruyère, pays de bocage, mais seulement de châteniers, où il n'y a que quelques petits ruisseaux. - Le plus prochain bureau de poste est à Châlus, distant de trois lieues environ. - Le seigneur, haut justicier de la paroisse, est M. de Permangle, et les Dames religieuses sont seigneurs fonciers. - Il y a une juridiction subalterne dépendant des Dames religieuses, relevant du siège royal de Montmorillon, élection de Confolent, cour consulaire de Poitiers, subdélégation de Rochechouart. - La distance de Montmorillon 17 lieues, de Poitiers 22 lieues, de Rochechouart, 3 lieues... »
II. — Boubon aujourd'hui
La Révolution est passée à Boubon et a fait d'une paroisse et commune du canton de Saint-Mathieu un tout petit village appartenant maintenant à la paroisse et à la commune de Cussac. Du beau monastère qui faisait la richesse et l'honneur de la contrée, il ne reste plus que des ruines, difficiles à reconstituer.
Le Icr octobre 1892, les religieuses furent chassées de ieur couvent qui fut fermé en attendant .la vente et la destruction prochaines. Une première vente avait eu lieu le 20 décembre 1791 avant l'expulsion des religieuses, mais elle fut annulée à cause de certaines irrégularités de la procédure. Une seconde adjudication eut lieu le 26 floréal, an II (13 mai 1794). L'un des lots comprenant « une église, cour, la maison servant ci-devant de couvent, parloir, haut et bas cloître, un petit jardin au milieu, halle, un jardin à côté de la dite maison contenant trois bosselées, un réservoir, un autre jardin au-delà se tenant à l'étang, le parc composé de deux pâturaux avec une pêcherie et un lavoir dans le milieu, deux terres à chaque côté des dits pâturaux, et une allée en chênes ou fayans dont les arbres sont considérables, portion du parc contenant 16 séterées (une séterée == 30 ares 79 centiares à Rochechouart et 34 ares 19 centiares à Châlus), fut adjugé pour 5.200 livres à Fr. F. L. et à Martial Duvoisin. Nous ne savons à qui les autres lots furent adjugés.
« Les linges consistant en aubes, nappes d'autel, serviettes et autres menus linges » furent déposés au magasin militaire de Saint-Junien le 12 germinal, an II. Quelques-uns de ces ornements furent distribués plus tard aux paroisses des Salles et de La Chapelle-Montbrandeix.
Les fantaisies des nouveaux propriétaires ont accumulé ruines sur ruines, si bien qu'il est à peu près impossible de reconstituer l'état des lieux. « On peut cependant dire, sans crainte de se tromper, que le monastère se composait de quatre corps de hûtiments formant un parallélogramme, avec un préau dans le milieu, entouré de cloîtres intérieurs. » (3)
Le bâtiment formant le côté du midi est seul resté à peu pris debout. Il avait, parait-il, une cinquantaine de mètres de longueur. En 1923, un nouveau propriétaire n'en a gardé qu'une toute petite partie, pour en faire une habitation. Le reste a été débarrassé de sa charpente, de l'étage comprenant les cellules des religieuses, et voué à l'abandon et à la destruction. Au rez-dechaussée, se trouve un cloître dont les arceaux ont été murés, laissant cependant une ouverture pour une fenêtre ou une porte. Sept de ces arceaux existent encore, mais il y en a trois voués à une destruction prochaine puisqu'ils sont dans la partie abandonnée.
Au premier étage se trouve une grande chambre, pourvue d'une énorme cheminée en granit. Faisant suite à la chambre, se trouvaient les cellules. Il y a quelques années, j'avais pu les visiter ; maintenant, il n'en reste plus qu'une qu'il serait désirable de conserver comme témoin du passé. C'est une chambre très étroite de 2 mètres 20 de largeur et de 4 mètres 40 de longueur, ayant une croisée sur le jardin au midi. Un étroit corridor, le long du mur, au nord, y donne accès. Dans ce mur, et en face de chaque cellule, se trouve une petite niche carrée de 50 centimètres d'ouverture et de 60 centimètres de profondeur. C'était un placard ; pour l'utiliser la religieuse devait ainsi sortir de sa chambre.
Les autres bâtiments formant autrefois les trois autres côtés du parallélogramme n'existent plus. La chapelle elle-même, qui pouvait contenir 7 à 800 personnes, a disparu complètement.
Le pare, très grand, était entouré de murs de deux mètres de hauteur, comme on peut s'en rendre compte par les morceaux qui sont encore debout. Au milieu de ce parc se trouvait et se trouve une petite pêcherie.
Au nord et à 50 mètres du couvent, se trouve la maison du Prieur, bâtie en 1682, et, de nos jours, très bien conservée, car elle a été toujours habitée. Au rez-de-chaussée se trouvent deux grandes pièces : une cuisine à gauche, et à droite une salle avec une grande cheminée en granit. Un escalier, également tout en granit, conduit au premier étage où sont deux chambres avec deux grandes cheminées. Le jardin, s'étendant vers l'étang, a été conservé. On y accède par une petite terrasse qui le domine et on y descend par un escalier. Le jardin lui-même se termine en terrasse sur le bord de l'étang.
Encore plus au nord, mais à deux ou trois cents pas de la maison du Prieur, sur le bord du chemin venant de l'étang, se dressait au moyen-âge le monastère des religieux de Fontevrault, détruit par les Anglais. C'était un prieuré appelé Saint-Jean-de-l'Habit, comme à Fontevrault. Lorsque, en 1672, Boubon fut érigé en paroisse, c'est dans l'église Saint-Jean que se firent les fonctions curiales. Plus tard, elles se firent dans la chapelle des Dames, mais l'église Saint-Jean ne fut pas abandonnée complètement ; on continua à y enterrer les notables du lieu.
A la restauration du monastère, au commencement du XVIe siècle, le couvent des hommes ne fut pas rebâti. Il n'y eut plus à Boubon qu'un seul religieux de l'ordre faisant les fonctions de confesseur des Dames et de curé de la paroisse. On l'appelait le Père Prieur, et il habitait la maison du Prieur dont nous avons parlé plus haut.
A la place du couvent de Saint-Jean-de-l'Habit, se trouve une métairie appelée par les religieuses la métairie de la Porte A côté, mais séparée par le chemin, est une grange de 17 mètres de long sur 5 mètres 20 de large, qui n'est autre que l'ancienne chapelle des religieux et qui a gardé jusqu'à la Révolution le titre d'église paroissiale.
On y accède par un vaste portail percé là où se trouvait l'autel principal et flanqué d'un contrefort extérieur. A l'intérieur, plus rien de ce qui, à première vue, peut rappeler une église. Cependant, dans le mur du nord, il existe encore une baie de vitrail qui a été murée. Au plafond, aucune trace de voûte, mais la charpente toute nue. A signaler une particularité de cette église : on n'y a jamais vu de toiles d'araignées. Les gens de la contrée l'ont bien remarqué et le signalent aux visiteurs.
Enfin, dans la prairie, se trouvait le cimetière ; quatre ou cinq pierres tombales, perdues dans le gazon, en marquent l'emplacement.
Boubon, fille de la grande abbaye de Fontevrault, devenue comme elle un centre d'attraction, un rendez-vous pour la haute société de la région, n'existe plus à l'heure actuelle : les fils de la Révolution sont passés par là.
Notes :
1. Vie du B. Robert d'Arbrissel, par M. B. Pavillon, aumônier du roi, 1665.
2. L'Etat du clergé du diocèse en 1702, par Gilles Le Duc. Ce passage cité plus haut est reproduit au tome XLVI du Bulletin de la Société Archéologique du Limousin.
3. Parmi les 37 abbesses qui ont gouverné l'ordre aristocratique de Fontevrault, on trouve 15 princesses de sang royal, notamment une fille d'Henri IV. Qu'il nous soit permis aussi de signaler qu'à la mort de l'abbesse Jeanne de Bourbon, survenue en 1670, ce fut Madame Marie-Madeleme-Gabrielle de Rochechouart-Mortemart qui lui succéda.
4. Rayet et Lecler, page 84.
Source : Max Berret.
A quelques centaines de mètres en deça de ces collines qui séparent le Limousin du Périgord, sur leur flanc septentrional, au milieu de taillis de châtaigniers, auprès d'un étang, se trouve un modeste village. Ce village n'attire point l'attention du voyageur hâtif. Cependant il mérite particulièrement d'attirer celle de l'homme toujours prêt à recueillir ce qui a fait autrefois la gloire du Limousin, sa petite patrie, je veux parler du village de Boubon, actuellement paroisse et commune de Cussac. Pour pouvoir ressusciter l'histoire du passé, je m'inspirerai largement de l'ouvrage de MM. Etienne Rayet et l'abbé A. Lecler : Boubon, Monographie d'un monastère de Fontevrault au Diocèse de Limoges (1106 à 1792). Pour parler du piésent, je m'inspirerai seulement de mes observations personnelles.
I. Boubon autrefois
(Locus Bobonis. — Monasterium Beatœ Mariœ de Bulbonio) Le monastère de Boubon était un des plus anciens de l'ordre de Fontevrault (département du Maine-et-Loire, près de Saumur.) Le fondateur de cet ordre, Robert d'Arbrissel, passant par le Limousin, reçut en 1106 de Pierre de Montfrebœuf, de Itier de Bernard et de Aimeric de Brun (Montbrun) « une foret distante de six à sept lieues de Limoges, dans laquelle il jeta les fondements du couvent de Boubon, où il fit venir bientôt après des religieuses. » (1).
Les noms des religieuses à cette époque de la vie monacale à Boubon, nous sont complètement inconnus. C'est seulement en 1257, plus de 150 ans après la fondation, que nous trouvons le sceau d'une prieure, sur un acte de donation. Ce sceau porte une croix autour de laquelle on lit : « Sigillum Petronille priorisse de Bobonis. »
La communauté, en effet, avait à sa tête une prieure élue par toutes les religieuses et dont le choix devait être approuvé par l'abbesse générale de Fontevrault. Cette prieure était élue pour trois ans, mais pouvait être nommée de nouveau. Voici les noms de celles que nous avons pu recueillir, après celui de Pétronilio.
En 1644, Marie Dupuisgasty ; en 1660, Henriette de Lambertie, de la branche de Marval ; en 1690, Henriette de Lambertie, nièce de la précédente. De 1692 à 1697, Charlotte de Coustin du Masnadaud. fille d'un subdélégué des maréchaux de France dans toute l'étendue de la justice de Limoges et la vicomté de Rochechouart. En 1698, Marie de Villoutreix ; de 1704 à 1708, N... de Lavaud. En 1714, de 1719 à 1721 et de 1724 à 1725, Marie de la Cropte de Chassaigne. De 1715 à 1719, de 1722 à 1723, de 1727 à 1730 et de 1735 à 1736, Renée de Lambertie, de la branche de Marval. De 1732 à 1734 et de 1737 à 1738 N... de Séchères. En 1738, passagèrement, Marie de Croizant, remplacée bientôt par Henriette d'Asnières de Saint-Palais. En 1744-1746-1747, Marie Perry de Saint-Auvent dont la famille était alliée aux Rochechouart. En 1748-1758 et en 1765, Gabrielle d'Asnières de la Gélisant. De 1759 à 1762, et de 1769 à 1775 Catherine de la Breuille de Chantrezat ; de 1775 à 1778, Marie de Masfranc de la Domaise ; de 1779 à 1781, Henriette de Rocquart de Lage ; de 1787 à 1788, Anne Julie de Sainton, grande dame qui se cachait sous ce nom modeste, mais qui en réalité se nommait Julie Bouillon de la Tour d'Auvergne. De 1788 à 1791, Anne Julie Saunier. Enfin, en 1791 le 13 mars, sous la présidence de M. Glénisson, maire de la commune et conformément à l'article 26 du titre II du décret de l'Assemblée Nationale, était élue la dernière prieure Jeanne Françoise Catherine de Coustin de Masnadaud.
Mais reprenons l'histoire du monastère. Celui-ci était bâti sur le grand chemin qui conduisait du Limousin dans le Nontronais en passant tout près du château de Montbrun. Sous le régne de Charles VI, il fut détruit par les Anglais. Fut-il brûlé comme Montbrun ? Nous n'avons aucun renseignement à ce sujet. On sait seulement que les religieuses furent obligées d'abandonner leur couvent pendant près d'un siècle. Cependant un religieux du même ordre et dont le monastère se trouvait à 200 pas environ de celui des religieuses, parait y être toujours resté, avec le titre de prieur, pour veiller aux intérêts matériels et administrer les biens.
Le couvent « fut rebâti par les seigneurs de Pompadour et de Lastours, qui en sont aujourd'hui reconnus fondateurs ; et ceux de Peyrusse des Cars, de Saint-Auvent et de Champagnac-sur-Gorre, de Maumont, de Montbrun, de Gramaud en sont insignes bienfaiteurs... » (2).
Le 18 septembre 1528, la mère abbesse générale de l'ordre de Fontevrault, princesse royale Renée de Bourbon (3), envoya sept religieuses qui reprirent possession de Boubon. Jean de Bermondet, chanoine et chantre de l'église de Limoges, en percevait alors les revenus. Un arrêt du Grand Conseil, le 26 mars 1539, l'obligea à délaisser ce bénéfice dont les revenus appartinrent de nouveau à la communauté de Boubon.
Déjà ce lieu n'était plus un endroit retiré et sauvage comme au moment de sa fondation. Les ruisseaux avaient été arrêtés par des digues, formant ainsi deux étangs dont le plus considérable faisait marcher un moulin. Des étrangers vinrent s'établir tout autour et formèrent bientôt un village et le monastère en fut bientôt la providence visible. Les religieuses ouvrirent un pensionnat où les familles nobles du pays envoyèrent bientôt leurs filles, pour y faire de fortes études ou même pour s'y consacrer à Dieu.
La bourgeoisie suivit bientôt l'exemple, et au milieu du XVIIIe siècle, Boubon était le rendez-vous de toutes les familles riches du pays. « Malgré l'éloignement des grands centres studieux où se trouvent bien plus facilement tous les moyens d'instruction, disent MM. Rayet et Lecler, page 13, les jeunes filles faisaient dans ces solitudes de très bonnes études. Les souvenirs des vieillards qui en parlaient encore 50 ans après la catastrophe en ont rendu le témoignage. Ceci ne peut surprendre lorsque l'on voit le Frère Soriz louer en 1707 « les mères maîtresses qui élèvent les pensionnaires », leur dire « qu'elles ont toute l'habileté qu'on peut souhaiter, qu'à peine trouverait-on dans les monastères des grandes villes des personnes plus capables. »
Boubon faisait alors partie de la paroisse de Cussac et était à une distance de 5 kilomètres de l'église. A cause des difficultés du chemin, les habitants, les religieuses et le curé de Cussac luimême demandèrent que leur territoire fût érigé en paroisse. C'est ce qui fut fait en 1692, et le vocable de l'église fut SS. Côme et Damien, que l'on fêtait le 27 septembre.
Cette paroisse ne fut jamais bien importante. Elle comprenait les villages des Champs, de Négrelat, de Graffeuil, de Vergnolas et de Parade. En 1762, par conséquent 70 ans après sa fondation, sa population était seulement de 115 habitants avec 80 communiants ; en 1785, elle était de 150 habitants. Cependant le Pouillé de Nadaud (je ne sais à quelle date) indique 227 habitants et 170 communiants.
Au commencement, les cérémonies eurent lieu dans la chapelle Saint-Jean, l'ancienne église des religieux. Peu de temps après, pour des raisons que nous ne connaissons pas, elles se firent dans celle des religieuses.
En 1785, l'intendant de la généralité de Poitiers fit dresser une statistique détaillée des paroisses de son ressort. On sait que la vicomté de Rochechouart, comprise dans l'élection de Confolens, bien que du diocèse de Limoges, était poitevine au point de vue féodal et administratif. Ce fut M. Dalesme, vicaire-régent de Boubon, qui répondit au questionnaire qui lui fut adressé et que nous allons donner en le résumant. « Il y a dans la paroisse, y compris les Dames de Font-Evraud, vingt-huit feux. Y compris la communauté, il y a cent cinquante habitants. - Le pays est très mauvais, pays de montagne, aride, marécageux, pays de bruyère, pays de bocage, mais seulement de châteniers, où il n'y a que quelques petits ruisseaux. - Le plus prochain bureau de poste est à Châlus, distant de trois lieues environ. - Le seigneur, haut justicier de la paroisse, est M. de Permangle, et les Dames religieuses sont seigneurs fonciers. - Il y a une juridiction subalterne dépendant des Dames religieuses, relevant du siège royal de Montmorillon, élection de Confolent, cour consulaire de Poitiers, subdélégation de Rochechouart. - La distance de Montmorillon 17 lieues, de Poitiers 22 lieues, de Rochechouart, 3 lieues... »
II. — Boubon aujourd'hui
La Révolution est passée à Boubon et a fait d'une paroisse et commune du canton de Saint-Mathieu un tout petit village appartenant maintenant à la paroisse et à la commune de Cussac. Du beau monastère qui faisait la richesse et l'honneur de la contrée, il ne reste plus que des ruines, difficiles à reconstituer.
Le Icr octobre 1892, les religieuses furent chassées de ieur couvent qui fut fermé en attendant .la vente et la destruction prochaines. Une première vente avait eu lieu le 20 décembre 1791 avant l'expulsion des religieuses, mais elle fut annulée à cause de certaines irrégularités de la procédure. Une seconde adjudication eut lieu le 26 floréal, an II (13 mai 1794). L'un des lots comprenant « une église, cour, la maison servant ci-devant de couvent, parloir, haut et bas cloître, un petit jardin au milieu, halle, un jardin à côté de la dite maison contenant trois bosselées, un réservoir, un autre jardin au-delà se tenant à l'étang, le parc composé de deux pâturaux avec une pêcherie et un lavoir dans le milieu, deux terres à chaque côté des dits pâturaux, et une allée en chênes ou fayans dont les arbres sont considérables, portion du parc contenant 16 séterées (une séterée == 30 ares 79 centiares à Rochechouart et 34 ares 19 centiares à Châlus), fut adjugé pour 5.200 livres à Fr. F. L. et à Martial Duvoisin. Nous ne savons à qui les autres lots furent adjugés.
« Les linges consistant en aubes, nappes d'autel, serviettes et autres menus linges » furent déposés au magasin militaire de Saint-Junien le 12 germinal, an II. Quelques-uns de ces ornements furent distribués plus tard aux paroisses des Salles et de La Chapelle-Montbrandeix.
Les fantaisies des nouveaux propriétaires ont accumulé ruines sur ruines, si bien qu'il est à peu près impossible de reconstituer l'état des lieux. « On peut cependant dire, sans crainte de se tromper, que le monastère se composait de quatre corps de hûtiments formant un parallélogramme, avec un préau dans le milieu, entouré de cloîtres intérieurs. » (3)
Le bâtiment formant le côté du midi est seul resté à peu pris debout. Il avait, parait-il, une cinquantaine de mètres de longueur. En 1923, un nouveau propriétaire n'en a gardé qu'une toute petite partie, pour en faire une habitation. Le reste a été débarrassé de sa charpente, de l'étage comprenant les cellules des religieuses, et voué à l'abandon et à la destruction. Au rez-dechaussée, se trouve un cloître dont les arceaux ont été murés, laissant cependant une ouverture pour une fenêtre ou une porte. Sept de ces arceaux existent encore, mais il y en a trois voués à une destruction prochaine puisqu'ils sont dans la partie abandonnée.
Au premier étage se trouve une grande chambre, pourvue d'une énorme cheminée en granit. Faisant suite à la chambre, se trouvaient les cellules. Il y a quelques années, j'avais pu les visiter ; maintenant, il n'en reste plus qu'une qu'il serait désirable de conserver comme témoin du passé. C'est une chambre très étroite de 2 mètres 20 de largeur et de 4 mètres 40 de longueur, ayant une croisée sur le jardin au midi. Un étroit corridor, le long du mur, au nord, y donne accès. Dans ce mur, et en face de chaque cellule, se trouve une petite niche carrée de 50 centimètres d'ouverture et de 60 centimètres de profondeur. C'était un placard ; pour l'utiliser la religieuse devait ainsi sortir de sa chambre.
Les autres bâtiments formant autrefois les trois autres côtés du parallélogramme n'existent plus. La chapelle elle-même, qui pouvait contenir 7 à 800 personnes, a disparu complètement.
Le pare, très grand, était entouré de murs de deux mètres de hauteur, comme on peut s'en rendre compte par les morceaux qui sont encore debout. Au milieu de ce parc se trouvait et se trouve une petite pêcherie.
Au nord et à 50 mètres du couvent, se trouve la maison du Prieur, bâtie en 1682, et, de nos jours, très bien conservée, car elle a été toujours habitée. Au rez-de-chaussée se trouvent deux grandes pièces : une cuisine à gauche, et à droite une salle avec une grande cheminée en granit. Un escalier, également tout en granit, conduit au premier étage où sont deux chambres avec deux grandes cheminées. Le jardin, s'étendant vers l'étang, a été conservé. On y accède par une petite terrasse qui le domine et on y descend par un escalier. Le jardin lui-même se termine en terrasse sur le bord de l'étang.
Encore plus au nord, mais à deux ou trois cents pas de la maison du Prieur, sur le bord du chemin venant de l'étang, se dressait au moyen-âge le monastère des religieux de Fontevrault, détruit par les Anglais. C'était un prieuré appelé Saint-Jean-de-l'Habit, comme à Fontevrault. Lorsque, en 1672, Boubon fut érigé en paroisse, c'est dans l'église Saint-Jean que se firent les fonctions curiales. Plus tard, elles se firent dans la chapelle des Dames, mais l'église Saint-Jean ne fut pas abandonnée complètement ; on continua à y enterrer les notables du lieu.
A la restauration du monastère, au commencement du XVIe siècle, le couvent des hommes ne fut pas rebâti. Il n'y eut plus à Boubon qu'un seul religieux de l'ordre faisant les fonctions de confesseur des Dames et de curé de la paroisse. On l'appelait le Père Prieur, et il habitait la maison du Prieur dont nous avons parlé plus haut.
A la place du couvent de Saint-Jean-de-l'Habit, se trouve une métairie appelée par les religieuses la métairie de la Porte A côté, mais séparée par le chemin, est une grange de 17 mètres de long sur 5 mètres 20 de large, qui n'est autre que l'ancienne chapelle des religieux et qui a gardé jusqu'à la Révolution le titre d'église paroissiale.
On y accède par un vaste portail percé là où se trouvait l'autel principal et flanqué d'un contrefort extérieur. A l'intérieur, plus rien de ce qui, à première vue, peut rappeler une église. Cependant, dans le mur du nord, il existe encore une baie de vitrail qui a été murée. Au plafond, aucune trace de voûte, mais la charpente toute nue. A signaler une particularité de cette église : on n'y a jamais vu de toiles d'araignées. Les gens de la contrée l'ont bien remarqué et le signalent aux visiteurs.
Enfin, dans la prairie, se trouvait le cimetière ; quatre ou cinq pierres tombales, perdues dans le gazon, en marquent l'emplacement.
Boubon, fille de la grande abbaye de Fontevrault, devenue comme elle un centre d'attraction, un rendez-vous pour la haute société de la région, n'existe plus à l'heure actuelle : les fils de la Révolution sont passés par là.
Notes :
1. Vie du B. Robert d'Arbrissel, par M. B. Pavillon, aumônier du roi, 1665.
2. L'Etat du clergé du diocèse en 1702, par Gilles Le Duc. Ce passage cité plus haut est reproduit au tome XLVI du Bulletin de la Société Archéologique du Limousin.
3. Parmi les 37 abbesses qui ont gouverné l'ordre aristocratique de Fontevrault, on trouve 15 princesses de sang royal, notamment une fille d'Henri IV. Qu'il nous soit permis aussi de signaler qu'à la mort de l'abbesse Jeanne de Bourbon, survenue en 1670, ce fut Madame Marie-Madeleme-Gabrielle de Rochechouart-Mortemart qui lui succéda.
4. Rayet et Lecler, page 84.
Source : Max Berret.