Louis Blanchard de Sainte-Catherine au XVIIIe siècle

Louis Blanchard, né en 1713 au village de Sainte-Catherine, dans le Nontronnais, appartient à une famille d'officiers de justice.

Il est d'abord contrôleur des actes du bureau de Montbron et fermier des rentes du comte de Montbron. En 1738, il épouse la fille d'un petit industriel, Dereix Des Rivières, qui est en relations avec les maîtres de forges des environs. Possesseur de terres ayant un minerai abondant et d'excellente qualité, Blanchard est « vendeur de mines ».

En 1754, il vend 60 fondues de mines à Lapouge de La Francherie, maître de forge à Bonrecueil (Saint-Sulpice-de-Mareuil), à raison de 150 livres la fondue, soit 9.000 livres.

En 1755, il cède 160 fondues de mines, à 175 livres la fondue, soit 28.000 livres, au marquis de Montalembert, propriétaire des forges de Ruelle.

Au commencement de la guerre de Sept ans, l'inspecteur général de l'Artillerie royale, Maritz, vient en tournée en Périgord pour augmenter la production des canons. Il a l'occasion de rencontrer Blanchard, jeune, actif, intelligent, qu'il prend en sympathie. En 1755, le gouvernement de Louis XV s'empare des forges de Ruelle, et Maritz entre ainsi directement en relations avec Blanchard, qui se met à travailler le fer et devient maître de forge. L'état de 1766 indique qu'il est fermier de M. de Javerlhac, à la forge de La Motte (Feuillade), et du marquis de Roffignac, à la forge de La Chapelle-Saint-Robert.

La forge de La Motte est équipée par un habile contremaître, Guyon, pour permettre la fabrication des canons.

Blanchard travaille d'abord pour le compte de M. de Ruffray, maître de forge de Rancogne, sur la Tardoire, qui ne peut exécuter une commande de 152 pièces de canons de calibre 8, pesant chacune 23 quintaux et représentant un poids total de 3.496 quintaux.

Le marché est passé à raison de 11 livres le quintal « sur le pied de pièces finies », soit 38.456 livres pour les 152 canons. Les pièces sont transportées sur des charrettes jusqu'à Angoulême, et, de là, sur des gabarres, à Rochefort. La livraison est terminée en janvier 1760, et M. de Ruffray se rend à Rochefort pour en réclamer le paiement ; il revient très déçu et déclare : « Les fournisseurs ne toucheront pas de l'argent de longtemps ; jamais les finances n'ont été dans un état plus critique. »

En outre des canons cédés à M. de Ruffray, la forge de La Motte produit des marteaux à casser la mine, des étrieux, des barres de forerie, des empoises, des limples, des chaudières, des tourtières, des chaufferettes, des pots, des chenêts, des taques, etc.

En 1760, le duc de Belle-Isle, maréchal de France, secrétaire d'Etat à la Guerre, approuve la soumission signée par Maritz et Blanchard, maître de forge de la Chapelle-Saint-Robert, pour la livraison à Rochefort, avant le 31 décembre 1762, « de 130 canons de fer du calibre 24 et 30 crapeaux pour mortiers de 12 pouces, destinés à l'artillerie de terre ».

Il est spécifié que ces pièces doivent être « coulées uniquement de 3/4 des mines des Farges et 1/4 de celles de Feuillade, sans aucun mélange d'autres qualités ».

Au début, les affaires de Blanchard sont prospères ; sa fortune est constituée par des biens fonciers et des rentes féodales. En 1761, il en dresse le bilan : actif, 301.341 livres ; passif, 166.600 livres, soit une marge bénéficiaire de 134.741 livres.

En février 1762, le duc de Choiseul passe une nouvelle commande de 104 canons de 18 à raison de 18 livres le quintal. Les contrats vont alors en se succédant. Les forges subissent d'importantes transformations pour la fabrication de canons de gros calibres, et Blanchard devient l'un des plus importants fondeurs de canons du royaume.

Il fait, en outre, plusieurs ventes de canons de 8 et de fournitures : boulets, mitraille et cages pour culasses, à des armateurs de Bordeaux et de Marseille. Il cède au maître de la forge d'Etouars, qui dépend des forges de Ruelle, les mines nécessaires à la fabrication de 30.000 quintaux de canons. En 1762, après de « gros fondages », le bilan de la fortune de Blanchard s'établit ainsi : actif, 271.900 livres ; passif, 113.583 livres, soit une balance bénéficiaire de 158.317 livres.

En cinq ans, de 1760 à 1765, les forges de Blanchard ont fabriqué, pour le compte de l'Etat : 835 pièces de canons, dont 592 de gros calibres de 36, 24 et 18 pouces.

Il immobilise ses capitaux en faisant des travaux d'aménagement dans ses forges et en achetant des terres : celle des Ombraies, au ministre Henri Bertin, et celle de Roussines, sur la Tardoire, où se trouve la forge de Pontrouchaud. N'ayant plus d'argent disponible pour la marche de ses usines, il compte sur les paiements de l'Etat, dont il est créancier. La situation de Blanchard est alors rendue critique par la détresse du Trésor royal, qui est en déficit constant ; mais il espère être payé grâce à l'appui de son compatriote Henri Bertin et à la présence du duc de Choiseul, secrétaire d'Etat à la Guerre et à la Marine, qui veut développer l'artillerie en vue d'une revanche à prendre sur l'Angleterre.

En 1765, il est dû à Blanchard 85.000 livres et 119.000 livres en 1766. Il fait appel à Maritz, à Bertin, à Choiseul, au comte de Montbron, et à de hauts personnages de la Cour. Il se rend même à Paris et à Versailles pour réclamer les 85.000 livres, mais on ne lui en offre que 17.000.

Le manque de capitaux met Blanchard dans l'obligation de recourir à des emprunts onéreux. Malgré cela, il ne se décourage pas et s'intitule : « Louis Blanchard, un des premiers fondeurs de canons des provinces d'Angoumois et de Périgord pour le service des vaisseaux, côtes et forteresses de sa Majesté. »

Après leur victoire sur le ministre Bertin, qui voulait assainir les finances, les Parlements inspirent alors des mesures de banqueroute déguisée, qui retardent encore les paiements et ruinent les créanciers de l'Etat.

Blanchard lutte avec énergie contre les obstacles qui se dressent devant lui.

En 1768, il obtient de l'Espagne une commande de 200 canons de 24 et de 30 mortiers de 12 pouces avec leurs affûts, qui doivent être livrés au port de Rochefort, au prix de 16 livres le quintal pour les canons, de 20 livres le quintal pour les mortiers et de 14 livres le quintal pour les affûts. Il est à remarquer que, parmi les différents fondeurs du royaume, le choix s'est porté sur Blanchard de Sainte-Catherine.

L'affaire n'est pas avantageuse pour lui en raison des conditions de prix qui lui sont imposées, et cependant il l'accepte courageusement pour éviter le chômage. Les dernières pièces sont coulées en juin 1770. mais l'Espagne connaît les mêmes difficultés financières que la France et, pour échapper au dernier paiement, les officiers d'artillerie espagnols refusent 60 canons de 24 et les mettent au rebut. C'est une cruelle déception pour Blanchard, dont les créanciers deviennent plus pressants. Il a absolument besoin d'une nouvelle commande pour sauver sa trésorerie ; or, les intrigues du marquis de Montalembert et l'opposition de Morogues, successeur de Maritz, l'en empêchent, malgré l'intervention du duc d'Orléans et de Madame Adélaïde, fille de Louis XV. Le renvoi de Choiseul enlève enfin tout espoir de contrat.

De plus, le manque de confiance aggrave la situation du Trésor royal, et Moreau écrit à son ami Blanchard : « La disette des finances est très grande ; il n'y a pas un écu dans la circulation ; nous touchons au moment d'une guerre civile si Dieu n'y met la main. »

Blanchard connaît alors des heures de détresse ; il pense à ses forges si bien équipées qui devront cesser tout travail et aux 300 ouvriers qu'elles font vivre.

Le 2 février 1770, il obtient un concordat et parvient à s'acquitter en vendant la terre de Roussines et en empruntant par ailleurs.

Toujours courageux, malgré son état de santé, il ne se laisse pas abattre par le destin, et il décide que ses forges continueront à travailler. Il ne fabriquera plus de canons pour le royaume, mais ses forges ne cesseront pas de marcher.

Grâce à l'aide financière de quelques amis, il fait allumer un fourneau pour couler des « gueuses », et il obtient des fontes de premier choix ; il fabrique aussi de petits canons pour des armateurs de Bordeaux.

Mais son état de santé s'aggrave, et il meurt en 1772.

Ses créanciers s'empressent de poursuivre le recouvrement de leurs créances. Sa fille, Marguerite de Vaucocour, n'ayant pas accepté la succession, il faut vendre les meubles par autorité de justice, pour payer les frais d'inventaire.

Marguerite Blanchard de Sainte-Catherine avait épousé, en janvier 1759, Jean-Léonard Gaillard, seigneur de Vaucocour, dont les armes étaient : « d'azur à trois fleurs de lys d'or au chef d'argent chargé de trois yeux de face ». Leur fils Louis, émigré, se maria plus tard avec demoiselle Catherine Mosnier de Planeaux.

Ainsi se termine l'histoire d'un des plus remarquables maîtres de forges du XVIIIe siècle. Il se distingue surtout par l'amour de son métier, auquel il était pourtant mal préparé. Sa conscience professionnelle, son esprit d'initiative, joints à une réelle valeur personnelle, lui ont permis d'établir deux importantes usines métallurgiques qui fournissent à l'artillerie, pendant la guerre de Sept ans, un grand nombre de bouches à feu d'excellente qualité.

Il donne un bel exemple de loyauté, de probité et de courage dans l'adversité, et il est à déplorer que la carence de l'Etat l’ait empêché d'avoir la belle fin de carrière qu'il méritait par les immenses services rendus au pays.

Source : Les anciennes forges de la région du Périgord, d'Édouard Peyronnet.

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