Le président de Roffignac, juriste, XVIe siècle
Celui-là aussi eut en son temps un grand renom comme orateur, comme homme de science et de caractère, et son souvenir est effacé. Sa vie eut du mouvement et de l'éclat; elle pourrait être reconstituée à l'aide des mémoires contemporains et ce serait une intéressante élude. On ignore pourlant le lieu et la date de sa naissance.
Christophe de Roffignac, seigneur de Cousages (aujourd'hui hameau de la commune de Chasteaux, près Brive), dut naître au commencement du XVIe siècle, sur ce fief noble dont il portait le nom et où sa famille resta fixée assez longtemps (1). Il était fils de François de Roffignac, seigneur de Cousages, et de Marguerite de Meaumont. Cette famille, aux nombreuses branches, était des plus anciennes du Limousin et, s'il faut en croire la légende, elle était déjà illustre à l'ouverture de l'ère chrétienne. Excusez du peu !... Saint-Martial, apôtre, se rendant de Tulle à Ayen, s'arrêta, au passage, au château de Roffignac et évangélisa ses hôtes qui entendirent avec soumission la parole de Dieu et reçurent le baptême. On cite à l'appui de ce fait, dit Bertrand de Latour (notre Jacques de Voragine), des tableaux et des titres qu'on conserve dans cette très ancienne maison de Rouffignac qui a toujours été jusqu'ici favorable à la religion du Christ et a donné des membres distingués à la milice chrétienne, soit dans l'ordre régulier, soit dans l'ordre séculier (2). Cette dernière proposition, au moins, est véridique. Des évêques, des prêtres el même des laïcs du nom de Roffignac ont témoigné avec une très grande ardeur de leur foi catholique.
Christophe de Roffignac, consacré dès sa jeunesse à la cléricature, débuta au parlement de Bordeaux comme conseiller clerc. Il remplaça, le 3 avril 1537, le célèbre Dibarola (3). Il avait rapidement conquis une importante situation parmi ses collègues lorsqu'il fut, au mois de février 1543, promu conseiller au parlement de Paris (4). Dans la capitale, comme à Bordeaux, il se fit apprécier, car il fut élevé promptement à la dignité de président à la chambre des enquêtes. Mais il n'avait pas quitté Bordeaux sans esprit de retour. Et lorsque le président à mortier plus ancien, Benoit de Lagebaston, fut promu premier président, il demanda à le remplacer, posant toutefois la condition, qui fut acceptée, qu'il aurait, à Bordeaux, le rang de président à mortier plus ancien.
« A Bordeaux, du temps de mon père, a écrit Joseph Scaliger, entre soixante sénateurs, il y en avait plus de vingt très habiles et doctes personnages (5). » Ranconnet, Tiraqueau, Briand de Vallée, Arnoul Ferron, Montaigne, La Boétie furent de cette élite dans laquelle n'étaient pas indignes de figurer les d'Alesme, les La Chassaigne, les Massiot, les Montaignac, les La Guionie, les Maledan, les Geneste, collègues et compatriotes de Christophe de Roffignac. On sait que pour les Limousins adonnés il l'étude des lois et des belles-lettres, la capitale de la Guienne était une seconde patrie. C'est sans doute pour retrouver ce milieu qui lui était cher que le président de Paris avait « aspiré à descendre » à une présidence de province.
Son installation comme second président ne se fit pas sans difficulté. Sa prétention de prendre rang après le premier violait ouvertement les us de la hiérarchie judiciaire en matière d'ancienneté. Mais les lettres de provision signées de Sa Majesté l'ordonnaient ainsi en termes formels, et Roffignac avait d'ailleurs stipulé vis-à-vis du roi que, s'il n'était pas reçu en qualité de second président, il reprendrait sa place comme président à Paris. Les présidents plus anciens, Carles et Laferrière, protestèrent, le récipiendaire insista avec vivacité et énergie. Il fut reçu, conformément à ses lettres de nomination, le 3 août 1555, mais le recours au roi fut réservé aux opposants. On peut lire dans la Chronique de Métivier les incidents multiples auxquels donna lieu ce conflit qui restait ouvert en principe quoique réglé en fait (6).
De 1555 à 1572, surtout dans la seconde moitié de cette période, durant les années les plus agitées qu'ait traversées la ville de Bordeaux (car les troubles de la Fronde n'eurent pas autant de cruauté), Christophe de Roffignac fut pour ainsi dire le chef du parlement. L'autorité du premier président Lagebaston était discutée dans la compagnie et combattue par les représentants du pouvoir royal, civils et militaires, notamment Noailles, maire; Monluc, lieutenant-général; Montferrand, des Cars, etc. (7). On le soupçonnait dé connivence secrète avec les religionnaires. D'abord, il fut souvent absent, étant appelé au conseil du roi, puis dénoncé en 1562 et à plusieurs reprises à Monluc, au roi comme favorable à l'hérésie, dut se retirer à la campagne, en Angoumois, où il resta prisonnier de ceux qu'il était censé protéger. Cependant, en 1570, le roi le révoqua de sa charge et le remplaça par le président de Laferrière (8). Il fut réintégré vers la fin de l'année suivante (9).
Dans ces conjonctures, le président de Roffignac tenait presque constamment les rênes du pouvoir. Il entretint la discipline dans la compagnie travaillée par des ferments de discorde; son action fut commune avec celle du gouvernement royal et de ses représentants, il traita les affaires avec eux, harangua en plusieurs circonstances le roi de Navarre, gouverneur de Guienne, Monluc, son lieutenant, les sieurs de Burie, de Lansac, de Montferrand, fit preuve du plus grand zèle. Haut à la main, impérieux, trahissant le gentilhomme sous le robin, il est certain qu'il se montra ardemment, peut-être même violemment, défenseur du catholicisme et poussa le parlement à entrer dans cette voie qui ne fut pas toujours celle de l'impartiale justice. L'historien du parlement de Bordeaux, le président Boscheron des Portes, cite de lui quelques traits qui, s'ils n'ont pas été inventés par ses ennemis, lui assigneraient un caractère de sévérité outrée et presque d'inhumanité.
Il s'attira ainsi la haine des huguenots, et l'un des plus qualifiés de cette secte s'est exprimé sur son compte en des termes qu'on hésite à reproduire devant les honnêtes gens. Parlant du grand syndicat catholique qui s'était formé à Bordeaux, Théodore de Bèze écrit : De ce syndicat enroulant environ trois mille personnes, outre le clergé, furent plusieurs hommes d'Etat, comme entre autres le tiers président nommé Rofflgnac, homme si vilain, si détestable en sa vie qu'à grand peine y eut il jamais rufien de bordeau plus infâme, mais fout cela était couvert du zèle qu'il avait ou qu'il disoit avoir pour la religion chrestienne. » (10).
Ce n'est pas pour celui qu'ils veulent atteindre que de tels outrages, dans leur ignoble expression, sont une honte. L'auteur lascif des « Juvenilia » aurait dû songer à la parabole de la poutre et de la paille avant de lancer des objurgations de ce genre et personne n'était moins autorisé à exiger d'au trui lamodération et la tolérance que le fanatique à froid qui, pour justifier l'atroce supplice de Servet, écrivit un traité sous ce titre sinistre : De hœreticis civili magistratu puniendis. C'est le cas de s'écrier doublement : Quis tulerit Gracchos!... Hélas, ces excès de langage sont coutumiers, des deux parts, dans le feu des discordes civiles, politiques ou religieuses. La recette n'en est pas perdue.
Ces imputations isolées, sans aucune preuve, jurent, avec ce qu'on connaît du caractère, des habitudes, des goûts du président de Roffignac, attestés par les travaux qu'il a laissés et par les témoignages de ses contemporains. Il était plus que zélé dans l'exercice de sa magistrature, il s'y absorbait, l, il consacrait tous ses loisirs — ut nullum pereat momentum temporis illi — à l'étude de l'histoire et du droit, les preuves sont là. Il a été loué publiquement par des prêtres, des magistrats, des avocats, des hommes de lettres, historiens, poètes. Le conseiller Jean d'Alesme, des ptus honorés dans la compagnie, écrivain distingué, a composé la préface de ses « Commentaires des histoires ». Le poète François Moncaut s'étonne en vers latins qu'il puisse à la fois juger tant de procès et écrire tant de livres (11). Un autre le déclare aussi bon écrivain que « bon juge » (bonus judex) (12). Pierre de Brach, parlant des illustres de la Guienne, le place au même rang que le grand président Bohier (celui dont on a tant parlé au sujet de la question du « droit du seigneur ») :
Là s'est fait et Cosage et Boyer dont l'esprit
A semé leurs louanges en ce qu'ils ont escrit.
De Lurbe dans son De Viris lui décerne les plus grands éloges.
Martial Monier a dressé son épitaphe où il dit que la France a perdu un de ses meilleurs soutiens (13). Tout cela n'est pas fait pour un homme perdu de mœurs. Nous avons dit précédemment qu'il fut le Mécène de Jean de Maumont.
Les calomnies de Théodore de Bèze n'ont, comme on voit, trouvé aucun écho chez les contemporains (14). Le président de Roffignac ne fut pas indigne de la considération publique, ses descendants firent les plus brillantes alliances et portèrent, tête haute, leur nom illustre et sans souillure.
Le Journal de François de Syrueilh a fait connaître le lien et la date de la mort de Roffignac. On y lit : « Monsieur le président de Roffignac, revenant de la court, ayant esté confirmé par arrest du conseil privé en son estat de second président au dict parlement de Bourdeaulx, contre Monsieur le président de La Ferrière qui prêtendoit estre second président, tomba malade à Périgueux où il décéda le lundi septiesme janvier mil v° soixante-douze » (15).
Je n'ai pu me procurer qu'un des ouvrages de Roffignac pour en rendre compte de visu :
— Commentarii || Omnium A Creato II Orbe Historiarum. || Christophoro Roffin. (16) in Senatu Burdegal. Præside, auctore. — Lutetiae. M. D. LXXI. Apud Ioannem Bene natum.
In-4° 16 pp. prélim. non numérotées, 500 pages, plus l'index qui tient 88 pages non numérotées. Dédicace à Albert de Gonde, comte de Rets, premier chambellan du roi, grand ami de l'auteur.
L'ouvrage est divisé en paragraphes qui traitent le premier de la période avant le déluge, les autres de l'origine et de l'histoire des Assyriens, des Chaldéens, des Hébreux, des Lydiens, des Mèdes, des Perses, des Macédoniens, des Grecs, des Romains, des Francs, des Espagnols. C'est proprement un résumé de l'histoire universelle écrit en un assez bon latin, et suivant l'état des connaissances historiques à cette époque. Il y a donc des fables, particulièrement sur l'origine des Gaulois et des Francs, mais sorti de la période anté-historique, l'auteur s'adresse aux bonnes sources et se montre judicieux et exact. Les compilations avaient alors plus de mérite qu'aujourd'hui, parce que la plupart des informations étaient encore manuscrites et qu'il fallait beaucoup de persévérance et de savoir pour les découvrir et les déchiffrer.
Jean d'Alesme, dans sa préface, rappelle les éminents et doctes magistrats qu'il a connus, Dibarola, Bertrand de Moncaut, Sauvat de Pomiès, Caldenet, Arnould Ferron, Briand de Vallée, le Président Belcier et nomme Roffignac parmi ces gloires du parlement. Il vante sa mémoire extraordinaire, sa puissance de travail, son jugement éclairé, comme magistrat et comme écrivain; il s'excuse de louer ainsi un homme vivant auquel il est attaché depuis longtemps par le goût commun de l'étude, mais il ne fait qu'exprimer un sentiment général; tous les hommes studieux l'aiment, l'admirent et l'estiment (ament, surpiciant et observent). D'Alesme rapporte que Roffignac prépara à Paris et mit au jour à Bordeaux un traité sur les matières bénéflciales qui était très supérieur à tout ce qu'on avait sur ce sujet et qui consacra sa réputation. Il ajoute que son collègue et ami avait en manuscrit un traité De jure patronatus, que tous ceux qui en avaient pris connaissance disaient aussi remarquable que son premier ouvrage sur les bénéfices. Les « Commentaires des histoires » sont précédés de nombreuses pièces de vers écrites à la gloire de l'auteur par des lettrés de tous les états.
Voici L'indication des autres ouvrages qu'on lui attribue :
— De re sacerdotali seu [de jure] pontificio, libri IV. — Paris, Le Preux, 1559.
In-4°. Cette désignation est de l'abbé Vitrac, dans les Annales de la Haute-Vienne, en 1813 Celle d'Ellies du Pin, dans ses Tables des auteurs ecclésiastiques est un peu différente : « Quatre livre de l'autorité ecclésiastique. Paris, 1577 ». Y aurait-il eu deux éditions, dont une posthume?
— Des bénéfices et des moyens de les avoir et de les perdre. Venise, 1384.
Ainsi mentionné pur Du Pin. D'après Vitrac : « Dissertations bénéficiales. Ces écrits se trouvent dans les traités du droit, t. XVI, part. 2. f° 346. » — C'est peut-être le traité « De jure patronal ».
Je regrette de ne pouvoir mieux éclaicir cette bibliographie, mais ces deux derniers ouvrages paraissent introuvables.
Notes :
1. C'était une antique seigneurie qui avait d'abord appartenu à des chevaliers du nom de Militis et, après les Roffignac, advint au XVIIe siècle à la maison de La Rochefoucauld, dont une branche prit le nom de La Rochefoucauld-Cousages.
2. Bertrand de Latour, Histoire de l'église de Tulle, chap. IV
3. Chronique du parlement de Bordeaux, par Jean de Métivier, t. I, p. 311.
4. Ibidem, t. I, p. 402. — Il fut remplacé à Bordeaux par Léonard de La Guionie (de Royère en Limousin). — Nadaud (Nobiliaire, t. Il, p. 244, est erroné sur cet article. Le conseiller Métivier mérite plus de confiance.
5. Scaligerana, éd. de 1695; p. 65.
6. Chronique de Métivier, t. I, pp. 98 à 103.
7. Boscheron des Portes, Histoire du parlement de Bordeaux, L. 1, passim. — Communay, Le parlement de Bordeaux. Notices sur ses principaux officiers, pp. 24 et s. — Gaullieur, Histoire de la Réformation à Bordeaux, t. I, chap. XXI et XXII.
8. Communay, p. 32.
9. Ibidem, p. 35.
10. Histoire des Eglises réformées, t. I, p. 495 (éd. de Lille).
11. Qui potuit Præses vexatus mille libellis
Distrietus que foro tantum scripsisse volumen?
Hœc est sedulitas, invicti et pectoris ardor,
Ut nullum pereat momentum temporis illi,
Quin studio incumbat, prisca ac recentia volvens
Scripta; gratis labor hic multis, huic summa voluptas.
12. François Hay, de Dax.
13. Marcialis Monerii epigrammata, pièce 120.
14. Les nombreux mémorialistes du parlement, Jean de Métivier, Jean de Gaufreteau, Etienne de Cruzeau ne disent pas un mot désobligeant sur le compte de Roffignac.
15. Journal de François de Syrueilh, de l'an 1568 à l'an 1585 (Bordeaux, 1873, p. 31.) Lorsque le premier président Lagebaston fut réintégré, le président Laferrière qui l'avait remplacé prétendit prendre le premier rang après lui et le premier favorisa cette prétention. Roffignac fut encore obligé d'aller combattre à Paris pour garder sa place.
16. Le nom est inscrit ainsi en abrégé.
(Curiosités de la bibliographie limousine, 1902)
Christophe de Roffignac, seigneur de Cousages (aujourd'hui hameau de la commune de Chasteaux, près Brive), dut naître au commencement du XVIe siècle, sur ce fief noble dont il portait le nom et où sa famille resta fixée assez longtemps (1). Il était fils de François de Roffignac, seigneur de Cousages, et de Marguerite de Meaumont. Cette famille, aux nombreuses branches, était des plus anciennes du Limousin et, s'il faut en croire la légende, elle était déjà illustre à l'ouverture de l'ère chrétienne. Excusez du peu !... Saint-Martial, apôtre, se rendant de Tulle à Ayen, s'arrêta, au passage, au château de Roffignac et évangélisa ses hôtes qui entendirent avec soumission la parole de Dieu et reçurent le baptême. On cite à l'appui de ce fait, dit Bertrand de Latour (notre Jacques de Voragine), des tableaux et des titres qu'on conserve dans cette très ancienne maison de Rouffignac qui a toujours été jusqu'ici favorable à la religion du Christ et a donné des membres distingués à la milice chrétienne, soit dans l'ordre régulier, soit dans l'ordre séculier (2). Cette dernière proposition, au moins, est véridique. Des évêques, des prêtres el même des laïcs du nom de Roffignac ont témoigné avec une très grande ardeur de leur foi catholique.
Christophe de Roffignac, consacré dès sa jeunesse à la cléricature, débuta au parlement de Bordeaux comme conseiller clerc. Il remplaça, le 3 avril 1537, le célèbre Dibarola (3). Il avait rapidement conquis une importante situation parmi ses collègues lorsqu'il fut, au mois de février 1543, promu conseiller au parlement de Paris (4). Dans la capitale, comme à Bordeaux, il se fit apprécier, car il fut élevé promptement à la dignité de président à la chambre des enquêtes. Mais il n'avait pas quitté Bordeaux sans esprit de retour. Et lorsque le président à mortier plus ancien, Benoit de Lagebaston, fut promu premier président, il demanda à le remplacer, posant toutefois la condition, qui fut acceptée, qu'il aurait, à Bordeaux, le rang de président à mortier plus ancien.
« A Bordeaux, du temps de mon père, a écrit Joseph Scaliger, entre soixante sénateurs, il y en avait plus de vingt très habiles et doctes personnages (5). » Ranconnet, Tiraqueau, Briand de Vallée, Arnoul Ferron, Montaigne, La Boétie furent de cette élite dans laquelle n'étaient pas indignes de figurer les d'Alesme, les La Chassaigne, les Massiot, les Montaignac, les La Guionie, les Maledan, les Geneste, collègues et compatriotes de Christophe de Roffignac. On sait que pour les Limousins adonnés il l'étude des lois et des belles-lettres, la capitale de la Guienne était une seconde patrie. C'est sans doute pour retrouver ce milieu qui lui était cher que le président de Paris avait « aspiré à descendre » à une présidence de province.
Son installation comme second président ne se fit pas sans difficulté. Sa prétention de prendre rang après le premier violait ouvertement les us de la hiérarchie judiciaire en matière d'ancienneté. Mais les lettres de provision signées de Sa Majesté l'ordonnaient ainsi en termes formels, et Roffignac avait d'ailleurs stipulé vis-à-vis du roi que, s'il n'était pas reçu en qualité de second président, il reprendrait sa place comme président à Paris. Les présidents plus anciens, Carles et Laferrière, protestèrent, le récipiendaire insista avec vivacité et énergie. Il fut reçu, conformément à ses lettres de nomination, le 3 août 1555, mais le recours au roi fut réservé aux opposants. On peut lire dans la Chronique de Métivier les incidents multiples auxquels donna lieu ce conflit qui restait ouvert en principe quoique réglé en fait (6).
De 1555 à 1572, surtout dans la seconde moitié de cette période, durant les années les plus agitées qu'ait traversées la ville de Bordeaux (car les troubles de la Fronde n'eurent pas autant de cruauté), Christophe de Roffignac fut pour ainsi dire le chef du parlement. L'autorité du premier président Lagebaston était discutée dans la compagnie et combattue par les représentants du pouvoir royal, civils et militaires, notamment Noailles, maire; Monluc, lieutenant-général; Montferrand, des Cars, etc. (7). On le soupçonnait dé connivence secrète avec les religionnaires. D'abord, il fut souvent absent, étant appelé au conseil du roi, puis dénoncé en 1562 et à plusieurs reprises à Monluc, au roi comme favorable à l'hérésie, dut se retirer à la campagne, en Angoumois, où il resta prisonnier de ceux qu'il était censé protéger. Cependant, en 1570, le roi le révoqua de sa charge et le remplaça par le président de Laferrière (8). Il fut réintégré vers la fin de l'année suivante (9).
Dans ces conjonctures, le président de Roffignac tenait presque constamment les rênes du pouvoir. Il entretint la discipline dans la compagnie travaillée par des ferments de discorde; son action fut commune avec celle du gouvernement royal et de ses représentants, il traita les affaires avec eux, harangua en plusieurs circonstances le roi de Navarre, gouverneur de Guienne, Monluc, son lieutenant, les sieurs de Burie, de Lansac, de Montferrand, fit preuve du plus grand zèle. Haut à la main, impérieux, trahissant le gentilhomme sous le robin, il est certain qu'il se montra ardemment, peut-être même violemment, défenseur du catholicisme et poussa le parlement à entrer dans cette voie qui ne fut pas toujours celle de l'impartiale justice. L'historien du parlement de Bordeaux, le président Boscheron des Portes, cite de lui quelques traits qui, s'ils n'ont pas été inventés par ses ennemis, lui assigneraient un caractère de sévérité outrée et presque d'inhumanité.
Il s'attira ainsi la haine des huguenots, et l'un des plus qualifiés de cette secte s'est exprimé sur son compte en des termes qu'on hésite à reproduire devant les honnêtes gens. Parlant du grand syndicat catholique qui s'était formé à Bordeaux, Théodore de Bèze écrit : De ce syndicat enroulant environ trois mille personnes, outre le clergé, furent plusieurs hommes d'Etat, comme entre autres le tiers président nommé Rofflgnac, homme si vilain, si détestable en sa vie qu'à grand peine y eut il jamais rufien de bordeau plus infâme, mais fout cela était couvert du zèle qu'il avait ou qu'il disoit avoir pour la religion chrestienne. » (10).
Ce n'est pas pour celui qu'ils veulent atteindre que de tels outrages, dans leur ignoble expression, sont une honte. L'auteur lascif des « Juvenilia » aurait dû songer à la parabole de la poutre et de la paille avant de lancer des objurgations de ce genre et personne n'était moins autorisé à exiger d'au trui lamodération et la tolérance que le fanatique à froid qui, pour justifier l'atroce supplice de Servet, écrivit un traité sous ce titre sinistre : De hœreticis civili magistratu puniendis. C'est le cas de s'écrier doublement : Quis tulerit Gracchos!... Hélas, ces excès de langage sont coutumiers, des deux parts, dans le feu des discordes civiles, politiques ou religieuses. La recette n'en est pas perdue.
Ces imputations isolées, sans aucune preuve, jurent, avec ce qu'on connaît du caractère, des habitudes, des goûts du président de Roffignac, attestés par les travaux qu'il a laissés et par les témoignages de ses contemporains. Il était plus que zélé dans l'exercice de sa magistrature, il s'y absorbait, l, il consacrait tous ses loisirs — ut nullum pereat momentum temporis illi — à l'étude de l'histoire et du droit, les preuves sont là. Il a été loué publiquement par des prêtres, des magistrats, des avocats, des hommes de lettres, historiens, poètes. Le conseiller Jean d'Alesme, des ptus honorés dans la compagnie, écrivain distingué, a composé la préface de ses « Commentaires des histoires ». Le poète François Moncaut s'étonne en vers latins qu'il puisse à la fois juger tant de procès et écrire tant de livres (11). Un autre le déclare aussi bon écrivain que « bon juge » (bonus judex) (12). Pierre de Brach, parlant des illustres de la Guienne, le place au même rang que le grand président Bohier (celui dont on a tant parlé au sujet de la question du « droit du seigneur ») :
Là s'est fait et Cosage et Boyer dont l'esprit
A semé leurs louanges en ce qu'ils ont escrit.
De Lurbe dans son De Viris lui décerne les plus grands éloges.
Martial Monier a dressé son épitaphe où il dit que la France a perdu un de ses meilleurs soutiens (13). Tout cela n'est pas fait pour un homme perdu de mœurs. Nous avons dit précédemment qu'il fut le Mécène de Jean de Maumont.
Les calomnies de Théodore de Bèze n'ont, comme on voit, trouvé aucun écho chez les contemporains (14). Le président de Roffignac ne fut pas indigne de la considération publique, ses descendants firent les plus brillantes alliances et portèrent, tête haute, leur nom illustre et sans souillure.
Le Journal de François de Syrueilh a fait connaître le lien et la date de la mort de Roffignac. On y lit : « Monsieur le président de Roffignac, revenant de la court, ayant esté confirmé par arrest du conseil privé en son estat de second président au dict parlement de Bourdeaulx, contre Monsieur le président de La Ferrière qui prêtendoit estre second président, tomba malade à Périgueux où il décéda le lundi septiesme janvier mil v° soixante-douze » (15).
Je n'ai pu me procurer qu'un des ouvrages de Roffignac pour en rendre compte de visu :
— Commentarii || Omnium A Creato II Orbe Historiarum. || Christophoro Roffin. (16) in Senatu Burdegal. Præside, auctore. — Lutetiae. M. D. LXXI. Apud Ioannem Bene natum.
In-4° 16 pp. prélim. non numérotées, 500 pages, plus l'index qui tient 88 pages non numérotées. Dédicace à Albert de Gonde, comte de Rets, premier chambellan du roi, grand ami de l'auteur.
L'ouvrage est divisé en paragraphes qui traitent le premier de la période avant le déluge, les autres de l'origine et de l'histoire des Assyriens, des Chaldéens, des Hébreux, des Lydiens, des Mèdes, des Perses, des Macédoniens, des Grecs, des Romains, des Francs, des Espagnols. C'est proprement un résumé de l'histoire universelle écrit en un assez bon latin, et suivant l'état des connaissances historiques à cette époque. Il y a donc des fables, particulièrement sur l'origine des Gaulois et des Francs, mais sorti de la période anté-historique, l'auteur s'adresse aux bonnes sources et se montre judicieux et exact. Les compilations avaient alors plus de mérite qu'aujourd'hui, parce que la plupart des informations étaient encore manuscrites et qu'il fallait beaucoup de persévérance et de savoir pour les découvrir et les déchiffrer.
Jean d'Alesme, dans sa préface, rappelle les éminents et doctes magistrats qu'il a connus, Dibarola, Bertrand de Moncaut, Sauvat de Pomiès, Caldenet, Arnould Ferron, Briand de Vallée, le Président Belcier et nomme Roffignac parmi ces gloires du parlement. Il vante sa mémoire extraordinaire, sa puissance de travail, son jugement éclairé, comme magistrat et comme écrivain; il s'excuse de louer ainsi un homme vivant auquel il est attaché depuis longtemps par le goût commun de l'étude, mais il ne fait qu'exprimer un sentiment général; tous les hommes studieux l'aiment, l'admirent et l'estiment (ament, surpiciant et observent). D'Alesme rapporte que Roffignac prépara à Paris et mit au jour à Bordeaux un traité sur les matières bénéflciales qui était très supérieur à tout ce qu'on avait sur ce sujet et qui consacra sa réputation. Il ajoute que son collègue et ami avait en manuscrit un traité De jure patronatus, que tous ceux qui en avaient pris connaissance disaient aussi remarquable que son premier ouvrage sur les bénéfices. Les « Commentaires des histoires » sont précédés de nombreuses pièces de vers écrites à la gloire de l'auteur par des lettrés de tous les états.
Voici L'indication des autres ouvrages qu'on lui attribue :
— De re sacerdotali seu [de jure] pontificio, libri IV. — Paris, Le Preux, 1559.
In-4°. Cette désignation est de l'abbé Vitrac, dans les Annales de la Haute-Vienne, en 1813 Celle d'Ellies du Pin, dans ses Tables des auteurs ecclésiastiques est un peu différente : « Quatre livre de l'autorité ecclésiastique. Paris, 1577 ». Y aurait-il eu deux éditions, dont une posthume?
— Des bénéfices et des moyens de les avoir et de les perdre. Venise, 1384.
Ainsi mentionné pur Du Pin. D'après Vitrac : « Dissertations bénéficiales. Ces écrits se trouvent dans les traités du droit, t. XVI, part. 2. f° 346. » — C'est peut-être le traité « De jure patronal ».
Je regrette de ne pouvoir mieux éclaicir cette bibliographie, mais ces deux derniers ouvrages paraissent introuvables.
Notes :
1. C'était une antique seigneurie qui avait d'abord appartenu à des chevaliers du nom de Militis et, après les Roffignac, advint au XVIIe siècle à la maison de La Rochefoucauld, dont une branche prit le nom de La Rochefoucauld-Cousages.
2. Bertrand de Latour, Histoire de l'église de Tulle, chap. IV
3. Chronique du parlement de Bordeaux, par Jean de Métivier, t. I, p. 311.
4. Ibidem, t. I, p. 402. — Il fut remplacé à Bordeaux par Léonard de La Guionie (de Royère en Limousin). — Nadaud (Nobiliaire, t. Il, p. 244, est erroné sur cet article. Le conseiller Métivier mérite plus de confiance.
5. Scaligerana, éd. de 1695; p. 65.
6. Chronique de Métivier, t. I, pp. 98 à 103.
7. Boscheron des Portes, Histoire du parlement de Bordeaux, L. 1, passim. — Communay, Le parlement de Bordeaux. Notices sur ses principaux officiers, pp. 24 et s. — Gaullieur, Histoire de la Réformation à Bordeaux, t. I, chap. XXI et XXII.
8. Communay, p. 32.
9. Ibidem, p. 35.
10. Histoire des Eglises réformées, t. I, p. 495 (éd. de Lille).
11. Qui potuit Præses vexatus mille libellis
Distrietus que foro tantum scripsisse volumen?
Hœc est sedulitas, invicti et pectoris ardor,
Ut nullum pereat momentum temporis illi,
Quin studio incumbat, prisca ac recentia volvens
Scripta; gratis labor hic multis, huic summa voluptas.
12. François Hay, de Dax.
13. Marcialis Monerii epigrammata, pièce 120.
14. Les nombreux mémorialistes du parlement, Jean de Métivier, Jean de Gaufreteau, Etienne de Cruzeau ne disent pas un mot désobligeant sur le compte de Roffignac.
15. Journal de François de Syrueilh, de l'an 1568 à l'an 1585 (Bordeaux, 1873, p. 31.) Lorsque le premier président Lagebaston fut réintégré, le président Laferrière qui l'avait remplacé prétendit prendre le premier rang après lui et le premier favorisa cette prétention. Roffignac fut encore obligé d'aller combattre à Paris pour garder sa place.
16. Le nom est inscrit ainsi en abrégé.
(Curiosités de la bibliographie limousine, 1902)