La dernière prieure du Carmel d'Angoulême
La dernière prieure fut la mère Françoise-Charlotte-Victoire de Jésus : élue en 1785, elle fut réélue en 1788 et en 1791. Elle appartenait à la même famille que la fondatrice, la première compagne de la mère Agnès de Jésus : Anne Regnauld de la Soudière avait eu la joie d'aider à la naissance du Carmel d'Angoulême ; Françoise Regnauld de la Soudière eut la douleur de le voir périr et elle dut en conduire le deuil pendant plus de trente années.
Elle était fille de messire François Regnauld, chevalier, seigneur de la Soudière, et d'Anne de la Ramière ; elle naquit au château de Saint-Mary, le 6 septembre 1743. Sa vocation, qui se révéla de bonne heure, fut contrariée d'abord : la jeune Françoise était intelligente et belle, et sa famille ne pouvait se résoudre à lui permettre d'ensevelir ses charmes derrière les grilles d'un cloître L'aspirante carmélite eut longtemps recours aux supplications et aux larmes; voyant enfin que tout était inutile, elle prit un parti extrême, qui s'accordait avec son caractère ferme et décidé : elle s'échappa de la maison de ses parents. On la poursuivit, on parvint à la rejoindre et on la réintégra sous le toit paternel. Mais un jour la surveillance se trouva en défaut : Françoise de la Soudière réussit à se cacher dans une charrette de foin qu'un vieux domestique, son complice sans doute, devait conduire du château de Saint-Mary à quelque ferme ; quand elle jugea le monent favorable, la fugitive se dégagea de dessous le foin qui la recouvrait et fit à pied la route d'Angoulême (1). Elle arriva bien fatiguée au monastère, où elle était connue de longue date, et où la mère Louise-Victoire des Anges l'accueillit à bras ouverts : elle avait alors vingt-trois ans.
C'est par affection pour cette bonne mère qu'elle prit elle aussi le nom de Victoire. Elle fut reçue à la vêture le 29 mars 1767. On dit que le roi Louis XV et la reine Marie Leczinska avaient accepté d'être ses parrains en cette circonstance ; mais nous ne savons trop quelle est la valeur de cette tradition ni par qui Leurs Majestés s'étaient fait représenter. On ajoute que Mme Louise de France, qui devint carmélite en 1771, au monastère de Saint-Denis, essaya vainement, à diverses reprises, d'attirer auprès d'elle la filleule de ses augustes parents.
Quoi qu'il en soit, Françoise-Charlotte-Victoire de Jésus fit son noviciat avec la ferveur et la générosité qu'on devait attendre d'une vocation si éprouvée. L'année révolue, elle prononça ses vœux, le 31 mars 1768, après avoir été examinée par l'évêque d'Angoulême, Mgr Joseph-Amédée de Broglie, et reçut le voile des mains de messire Jean-François Coiffet, grand archidiacre de la cathédrale d'Angoulême et supérieur immédiat du Carmel. Elle avait 24 ans 6 mois et 25 jours. Elle fut nommée première dépositaire au plus tard en 1774, sous-prieure en 1782, et, comm nous l'avons dit déjà, elle devint prieure en 1785.
Elle poursuivit le but, que s'étaient proposé déjà ses devancières, d'améliorer la situation matérielle des Sœurs en leur procurant un logement plus salubre et plus vaste. C'est dans ce dessein (2) qu'elle acheta, le 21 janvier 1788, de M. Pierre Bourdin, « conseiller d'honneur en la sénéchaussée et siège présidial d'Angoulême, » et de Marie Trémeau, sa femme, « les maisons, cour, jardin et dépendances appartenant audit sieur Bourdin, » qui en occupait personnellement une partie ; lesdites maisons « situées rue des Cordonniers, paroisse de Beaulieu. » La vente fut faite moyennant le prix de 21,000 livres de principal et 250 livres de pot-de-vin. Les Carmélites fournirent, séance tenante, le pot-de-vin et, huit jours après, elles payèrent, pour droit de lods et ventes, l'énorme somme de 5,000 livres à M. Salomon Varin, sieur de Magnac et de Maumont, la maison acquise étant mouvante de ce dernier fief. Quant au prix principal, il était convenu que les Carmélites paieraient à divers créanciers de M. Bourdin la rente d'une partie, fixée à 5,775 livres ; que, dans huit ans, elles verseraient 8,500 livres au sieur de Bellevue, et 6,725 livres à M. Bourdin lui-même dans le délai de six mois (3). L'emprunt de 4,000 livres fait aux Dames de l'Union chrétienne le 17 février 1789 fut sans doute motivé par cet achat.
Nous avons vu (4) déjà que la mère Victoire de Jésus songeait à rebâtir l'église du monastère; mais elle n'eut point cette consolation.
Notes :
1. Nous devons ces détails et plusieurs autres, concernant la dernière prieure du Carmel, à d'obligeantes communications de Mme la marquise et de Mme la comtesse de la Soudière, que nous prions d'agréer ici l'expression de notre respectueuse reconnaissance.
2. L'acte s'exprime ainsi : « Les Carmélites ont déclaré que leur clôture actuelle est si resserrée qu'elles ne font la présente acquisition que pour y renfermer lesdites maisons et dépendances et avoir moins de gêne. »
3. Archives départementales, fonds des Carmélites.
4. Il n'est pas besoin de dire que la pieuse prieure avait, comme toute vraie carmélite, des goûts de magnificence pour ce qui touchait à l'embellissement et à la décoration de la maison de Dieu. « En 1787, notre révérende mère Victoire de Jésus, écrit la dépositaire, a fait faire un parement en broderie or et soie ; la figure de notre sainte Mère est en peinture fine. Il revient à la somme de 672 livres : cette somme est du produit du travail et des petites épargnes de notre révérende mère prieure. » (Registre de la dépositaire)
Source : Notice historique sur l'ancien Carmel d'Angoulême, de l'abbé Blanchet.
Elle était fille de messire François Regnauld, chevalier, seigneur de la Soudière, et d'Anne de la Ramière ; elle naquit au château de Saint-Mary, le 6 septembre 1743. Sa vocation, qui se révéla de bonne heure, fut contrariée d'abord : la jeune Françoise était intelligente et belle, et sa famille ne pouvait se résoudre à lui permettre d'ensevelir ses charmes derrière les grilles d'un cloître L'aspirante carmélite eut longtemps recours aux supplications et aux larmes; voyant enfin que tout était inutile, elle prit un parti extrême, qui s'accordait avec son caractère ferme et décidé : elle s'échappa de la maison de ses parents. On la poursuivit, on parvint à la rejoindre et on la réintégra sous le toit paternel. Mais un jour la surveillance se trouva en défaut : Françoise de la Soudière réussit à se cacher dans une charrette de foin qu'un vieux domestique, son complice sans doute, devait conduire du château de Saint-Mary à quelque ferme ; quand elle jugea le monent favorable, la fugitive se dégagea de dessous le foin qui la recouvrait et fit à pied la route d'Angoulême (1). Elle arriva bien fatiguée au monastère, où elle était connue de longue date, et où la mère Louise-Victoire des Anges l'accueillit à bras ouverts : elle avait alors vingt-trois ans.
C'est par affection pour cette bonne mère qu'elle prit elle aussi le nom de Victoire. Elle fut reçue à la vêture le 29 mars 1767. On dit que le roi Louis XV et la reine Marie Leczinska avaient accepté d'être ses parrains en cette circonstance ; mais nous ne savons trop quelle est la valeur de cette tradition ni par qui Leurs Majestés s'étaient fait représenter. On ajoute que Mme Louise de France, qui devint carmélite en 1771, au monastère de Saint-Denis, essaya vainement, à diverses reprises, d'attirer auprès d'elle la filleule de ses augustes parents.
Quoi qu'il en soit, Françoise-Charlotte-Victoire de Jésus fit son noviciat avec la ferveur et la générosité qu'on devait attendre d'une vocation si éprouvée. L'année révolue, elle prononça ses vœux, le 31 mars 1768, après avoir été examinée par l'évêque d'Angoulême, Mgr Joseph-Amédée de Broglie, et reçut le voile des mains de messire Jean-François Coiffet, grand archidiacre de la cathédrale d'Angoulême et supérieur immédiat du Carmel. Elle avait 24 ans 6 mois et 25 jours. Elle fut nommée première dépositaire au plus tard en 1774, sous-prieure en 1782, et, comm nous l'avons dit déjà, elle devint prieure en 1785.
Elle poursuivit le but, que s'étaient proposé déjà ses devancières, d'améliorer la situation matérielle des Sœurs en leur procurant un logement plus salubre et plus vaste. C'est dans ce dessein (2) qu'elle acheta, le 21 janvier 1788, de M. Pierre Bourdin, « conseiller d'honneur en la sénéchaussée et siège présidial d'Angoulême, » et de Marie Trémeau, sa femme, « les maisons, cour, jardin et dépendances appartenant audit sieur Bourdin, » qui en occupait personnellement une partie ; lesdites maisons « situées rue des Cordonniers, paroisse de Beaulieu. » La vente fut faite moyennant le prix de 21,000 livres de principal et 250 livres de pot-de-vin. Les Carmélites fournirent, séance tenante, le pot-de-vin et, huit jours après, elles payèrent, pour droit de lods et ventes, l'énorme somme de 5,000 livres à M. Salomon Varin, sieur de Magnac et de Maumont, la maison acquise étant mouvante de ce dernier fief. Quant au prix principal, il était convenu que les Carmélites paieraient à divers créanciers de M. Bourdin la rente d'une partie, fixée à 5,775 livres ; que, dans huit ans, elles verseraient 8,500 livres au sieur de Bellevue, et 6,725 livres à M. Bourdin lui-même dans le délai de six mois (3). L'emprunt de 4,000 livres fait aux Dames de l'Union chrétienne le 17 février 1789 fut sans doute motivé par cet achat.
Nous avons vu (4) déjà que la mère Victoire de Jésus songeait à rebâtir l'église du monastère; mais elle n'eut point cette consolation.
Notes :
1. Nous devons ces détails et plusieurs autres, concernant la dernière prieure du Carmel, à d'obligeantes communications de Mme la marquise et de Mme la comtesse de la Soudière, que nous prions d'agréer ici l'expression de notre respectueuse reconnaissance.
2. L'acte s'exprime ainsi : « Les Carmélites ont déclaré que leur clôture actuelle est si resserrée qu'elles ne font la présente acquisition que pour y renfermer lesdites maisons et dépendances et avoir moins de gêne. »
3. Archives départementales, fonds des Carmélites.
4. Il n'est pas besoin de dire que la pieuse prieure avait, comme toute vraie carmélite, des goûts de magnificence pour ce qui touchait à l'embellissement et à la décoration de la maison de Dieu. « En 1787, notre révérende mère Victoire de Jésus, écrit la dépositaire, a fait faire un parement en broderie or et soie ; la figure de notre sainte Mère est en peinture fine. Il revient à la somme de 672 livres : cette somme est du produit du travail et des petites épargnes de notre révérende mère prieure. » (Registre de la dépositaire)
Source : Notice historique sur l'ancien Carmel d'Angoulême, de l'abbé Blanchet.