Un poème de La Péruse

La mort du capitaine Faïoles.

Le paisné.

Quoi! dureront tousiours tant de maux inhumains,
Qui troublent à l'enui le repos des humains?
Quoi! viendra-il tousiours quelque occasion fresche,
Qui l'aise des humains et leur bonheur empesche?
Est-il doncq' resolu par le destin du Ciel
Que le miel des humains sera voisin du fiel?
Est-il doncq' resolu que l'homme, tant qu'il vive,
N'aura iamais un bien qu'apres yn mal ne suive?
Ah! pauure genre humain! que ton bien à l'enui
Est de mille malheurs soudainement suivi!
Ah! pauvre genre humain! que ta rose est voisine
Des esperons agus de la noueuse espine!
Un gain n'a si tost faict tes soupirs retirer,
Qu'une perte te faict encore soupirer;
Un plaisir n'a plus tost r’asserené ta face,
Qu'un destin enuieux quelque malheur te brasse;
Tu n'as pas si tost veu la seule ombre de l'heur,
Que tu te sens plonger au profond du malheur;
Tu n'as si tost pensé à n'estre plus malade,
Qu'un mal encor plus grand ia de travers t'oeillade.
Et (ô Dieu quel malheur!) tousiours le mal te vient
Quand, au milieu des biens, du mal ne te souvient.
Quand plus tu penses estre esloigné de destresse,
C'est lors qu'au desproueu quelque encombrier t'opresse;
Quand plus tu penses estre asseuré de ton bien,
C'est lors que tu te vois asseuré de ton rien;
Quand plus tu penses estre asseuré de ta vie,
C'est alors que la Parque a sur tes iours enuie.
Helas! tu l'as bien sceu, tu as bien sceu les loix
De ce monde inconstant, ô l'honneur d'Angoumois,
Faïoles, cher cousin: tu as bien sceu qu'au monde
N'y a non plus d'arrest qu'au branlement d'une onde,
Et que lors que du monde on a l'espoir conceu,
C'est alors que du monde on se trouue deceu,
C'est alors que le sort, contretournant sa roue,
Des mal-heureux humains à son plaisir se ioue,
Empeschant leurs desseins, culbutant leurs effors,
Haut-eslevant le foible, abatant les plus fors,
Couppant le fil des ans à la verde ieunesse,
Et prolongeant les jours à la courbe vieillesse.
Vrayment tu cogneus bien l'inconstance du sort,
Faïoles, cher cousin, quand, atteint de la mort
En l'avril de ton aage, (ayant pourtant laissée
Desia par tes haus faicts claire la renommée
De toy et de ton nom) tu laissas le soleil,
Pour aller sommeiller d'un oblieux sommeil,
D'un oblieux sommeil, dont quiconques sommeille,
Sommeille si profond qu’onques il n'en reveille,
Que le haut-bruyant son de la trompe des Cieux,
Rompant ce long sommeil, ne dessille ses yeux,
Le bien-heurant du tout, et luy baillant à l'heure
Pour une vie estainte une vie meilleure.
Las, helas! ce fut lors que Charles, enragé
Du bonheur des François, tenoit Mets assiegé;
Lors que maint Espagnol cogneut à son dommage
Quels estoient tes effors; lors que d'un haut courage,
lamais recreu de peur, iour, nuit, soir et matin,
Hardi tu terrassas maint Bourguignon mutin;
Lors que choisi sur tous par ce grand Duc de Guise
Tu mis heureusement à fin mainte entreprise;
Lors que les Alemans cogneurent à leur dam
L'Enseigne valeureux du seigneur de Randam.
Las, helas! ce fut lors, cher cousin, que la vie
En la fleur de tes ans d'un plomb te fut ravie,
Ostant à l'ennemy la grand crainte de toy,
Et laissant aux François un eternel esmoy:
Un eternel esmoy, un ennuy, une plainte,
Voyant le coeur hardi, qui oncq ne logea crainte,
Par un boulet meurtrier empesché de courir
Au comble de l'honneur, premier que de mourir.
Vrayment tu fus par trop ennemy de la vie,
Quiconques le premier trouuas l'Artillerie.
Vrayment d'un faict cruel tu te bailles renom,
Quiconques le premier inuentas le canon.
Et quoi? si tu voulois qu'il fut de toy memoire,
Faloit il achepter par nostre mort ta gloire?
Et quoi? ne pouvois-tu autrement empescher
Que ton renom mourut, sans qu'il coustat si cher?
O maudite façon! maudit art! maudit maistre!
O mal-heureux canon! ô mal-heureux salpestre!
O mal-heureuse poudre! ô boulets mal-heureux!
O bourreaux inhumains des hommes valeureux!
Par vous l'homme vaillant tombe aussi tost par terre
Que faict le plus poltron qui onques fut en guerre;
Par vous maint homme fort est du foible abatu;
Par vous on ne sçait pas des François la vertu;
Par vous on ne sçait pas des François la vaillance.
Encores y a-il des Rolans en la France,
Il y a des Renauts, et des Ogers aussi,
Que l'effroyable peur ne mit oncq' en soucy.
Mais ce maudit canon les meurdrit ainsi comme
Il feroit un gouiat, ou quelque coüart homme,
Et moins s'en peut garder l'homme brave et hardi
Que le craintif, qui a le coeur abastardi.
En pourroit-on avoir une preuve meilleure
Qu'en voyant ton corps mort, qui dedans Mets demeure,
Et mil moindres que toy, moindres aussi tenus,
Sans aucun encombrier en sont sains reuenus.
N'estime plus, Caesar, vaine ton entreprise:
Bien que par tes effors la ville ne soit prise,
N'estime pourtant pas, non, n'estime iamais
Que tu n'as rien conguis en ce siege de Mets.
Si contre tes effors le Roy garda Lorraine,
Il y perdit beaucoup, perdant tel capitaine,
Et tu gaignas beaucoup, gaignant la vie à maints,
Qui, sans ce plomb meurtrier, fussent morts de ses mains.
Encore n’as-tu pas du tout raui sa vie,
Encore vit de luy la meilleure partie.
Ton mal-heureux boulet a, sans plus, abatu
Ce qui pouvoit mourir: mais non pas sa vertu,
Ny ses faicts valeureux, qui viuront en la France
Tant que l'on baillera coup d'epée et de lance.
Ses faicts viuront tousiours, et, malgré ton canon,
Ils auront par mes vers un eternel renom.
Celuy ne meurt iamais, qui, vaillant, à la guerre,
Pour soutenir son Roy est renuersé par terre:
Mais des hommes coüars, de crainte demy-morts,
Un mesme coup abat et les noms et les corps.
Et puis, mon cher cousin, tu esperois quelque heure
Viure au ranc des heureux d'une vie meilleure;
Tu esperois par foy quelques fois avoir lieu
Au ranc des bien-heureux, au sainct regne de Dieu;
Tu sçavais bien, Cousin, que la mort est la porte
Par laquelle conuient que de ce monde on sorte,
Pour voler droit au Ciel, sur l'aele de la foy,
Où maintenant tu vis exant de tout esmoy:
Et nous sommes icy, attendans pareil change,
Pour aller, comme toy, rendre au Seigneur louange.

NB : Pierre de Lubersac (-1552), dit le capitaine Fayolle, originaire de Fayolle (paroisse de Jauldes) en Angoumois, fils paîné de Foulques de Lubersac et Madeleine Tizon, était enseigne dans la compagnie de Charles de La Rochefoucauld (1520-1583), comte de Randan, baron de Cellefrouin, seigneur de Sigogne (paroisse de Coulgens). Le capitaine Fayolle est mort suite à ses blessures reçues au siège de Metz. Ce texte poétique du XVIe siècle est tiré des œuvres de Jean Bastier de La Péruse (1529-1554).

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