Procès de la marquise de Charras
Anne-Jeanne Roëttiers de La Chauvinerie, marquise de Lalaurencie-Charras et Marie de Lalaurencie-Charras sa belle-sœur.
Il est difficile, même après avoir lu les dossiers de jugement de ces deux dames, de dire de quelles fautes, de quel péché véniel elles pouvaient être accusées; ce qu'il y a de plus clair, c'est qu'elles étaient ci-devant nobles, comme on disait dans le temps, et qu'elles avaient pour adversaire l'infernal Fouquier-Tinville, le fabricateur d'accusation, la hache exterminatrice du parti de la Terreur.
Elles furent toutes deux dénoncées par le comité révolutionnaire de la section du Mont-Blanc comme suspectes, en vertu de la loi de Merlin de Douai. Elles habitaient la commune d'Asnières, près Paris, avec le marquis de Charras, leur époux et frère, ancien inspecteur des maréchaussées, qui eut lo bonheur ou le malheur d'être tellement malade qu'on ne put le transporter en prison. Comme il me serait impossible d'extraire des trois pièces qui composent le dossier de Mme la marquise de Charras une seule raison de condamnation, je vais en citer les passages les plus saillants; c'est le seul moyen de faire connaître les procédés de justice de cette machine de destruction que le montagnard Lecointre (de Versailles) définissait ainsi : « Qu'est-ce qu'un tribunal révolutionnaire?... C'est un tribunal arbitraire où le parti dominant envoie ses victimes. »
Dont le conventionnel Doulcet-Pontécoulant a dit : « Les tribunaux révolutionnaires n'ont trouvé partout des coupables que parce que le gouvernement de la Terreur voulait qu'on trouvât partout des coupables. »
Et Bordas (de la Haute-Vienne), autre conventionnel : « C'est une caverne d'assassins (1) ! »
Voici l'interrogatoire subi devant Deliège, juge au tribunal criminel et révolutionnaire de Paris :
« D. Les nom, âge, profession, pays et demeure?
« R. Anne-Jeanne Roëttiers de La Chauvinerie, femme de Charras, ci-devant marquis (2), âgée de quarante et un ans, native de Paris, demeurant à Asnières, département de Paris, district de Franciade (Saint-Denis).
« D. Où est actuellement son mari?
« R. A Asnières, bien malade.
« D. Quelles sont ses opinions sur la Révolution?
« R. Qu'elle trouve bien fait ce qu'elle a fait.
« D. Ce qu'elle pense du jugement du tyran et de son infâme femme?
« R. Que puisqu'on les a jugés, elle pense qu'ils méritaient de l'être.
« D. Connaissez-vous la femme Billens?
« EL Oui, mes parents étaient bien liés avec les siens.
« D. Avez-vous su si l'on n'a pas tenu chez elle des conciliabules tendant à rétablir l'ancien régime?
« R. Que non.
« D. Si elle a un conseil?
« R. Qu'elle nomme le citoyen Villains.
« Lecture faite, elle persiste, etc. »
Sur cet interrogatoire Fouquier-Tinville brocha l'acte d'accusation suivant :
« Examen fait des interrogatoires, il résulte que ladite Charras était l'ennemie de la Révolution; que c'était chez elle que les contre-révolutionnaires tenaient leurs conciliabules; que l'on y tenait les discours les plus incendiaires contre la Convention nationale, contre les patriotes et contre Paris; on disait où il fallait mettre le feu afin d'en brûler toute la canaille, qui n'était bonne à conserver que du jour au lendemain; qu'elle paraît même avoir conservé des correspondances avec l'émigré Corberon.
« En conséquence, l'accusateur public requiert.... Le 7 pluviôse an II. »
Le 11 du même mois, la malheureuse dame comparaissait devant le tribunal révolutionnaire, composé de André Coffinhal, faisant fonctions de président; Pierre-Noël Subleyras et François-Joseph Denizot, juges; Gilles Liendou, substitut de l'accusateur public. Voici les questions posées au jury :
« Est-il constant qu'il a existé des intelligences et correspondances avec les ennemis dela République, tendant à favoriser par tous les moyens possibles le succès de leurs armés et leur entrée sur le territoire français, anéantir la souveraineté du peuple, dissoudre la représentation nationale, rétablir la royauté en France?
« Anne-Jeanne Roëttiers de La Chauvinerie, femme de François Charras, ci-devant marquis, est-elle du nombre de ceux qui ont entretenu lesdites intelligences?
« La déclaration du juré (3) est affirmative sur toutes les questions. »
Il paraît que cette dame et son mari s'étaient toujours montrés d'une bienfaisance et d'une générosité qui le? avaient rendus la providence de la contrée, aussi la population s'émut de leur arrestation. La société populaire d'Asnières se réunit et prit plusieurs délibérations dans l'une desquelles on lit ce qui suit : « Depuis vingt mois que la citoyenne Charras et son époux résident en cette commune, ils ont tenu une conduite sans reproche; que, au contraire, la société do ladite commune ne peut que leur donner les marques d'estime que l'on doit aux bons Français, et que les membres de ladite société peuvent et croient devoir attester devant les citoyens qui composent le tribunal révolutionnaire, que la citoyenne Charras et son époux ont toujours donné les preuves de leur zèle pour la chose publique, et qu'ils se sont montrés jusqu'à ce jour les amis de l'humanité, en soulageant la classe indigente d'uu côté, et mettant les premiers la main à l'œuvre lorsqu'il s'agissait de sacrifices envers la patrie. C'est pourquoi il a été arrêté, après nuire délibération de l'assemblée, qu'il serait nommé six commissaires, pris dans son sein, pour porter et remettre le présent extrait entre les mains de qui de droit. » Un grand nombre de signatures suivent au bas de cette pièce, qui est au dossier.
Mais que pouvaient faire les efforts de toute une population reconnaissante auprès de ce tribunal de sang, dont le septembriseur Danton, qui fut son créateur et sa victime, disait : « Je demande pardon à Dieu et aux hommes de l'avoir fait décréter ! »
La malheureuse femme fut condamnée à mort et exécutée le même jour.
(Archives de l'Empire, W, 316, dossier 477.)
Marie de Lalaurencie-Charras.— Il n'existe pas plus de charges contre cette victime que contre la précédente. La procédure fut identique : interrogatoire insignifiant, acte d'accusation faux et sans base, questions aux jurés inventées et étrangères au procès, condamnation capitale inique, telle est Pu raccourci la physionomie de cette nouvelle affaire. Au forai, tout cela n'était qu'une hypocrite comédie; il ne s'agissait pas de punir des coupables, mais bien d'anéantir des adversaires.
Mlle Marie de Lalaurencie était, comme son frère, native de Chatras, qu'elle avait habité toute sa vie, et elle eût mieux fait d'y rester. Depuis deux ans elle s'était rapprochée de son frère et de sa bellesœur qui habitaient Asnières, comme nous l'avons déjà dit. Son frère, très malade, avait réclamé ses soins, et elle n'avait pas hésité à braver le danger pour aider, dans cet acte pieux, sa belle-sœur, la malheureuse qui tomba sous le glaive de la loi, comme disait Fouquier-Tinville, quelques mois avant elle.
Il paraît que ce fut le même comité révolutionnaire de la section du Montblanc qui la fit arrêter comme sa belle-sœur.
Des différents interrogatoires qu'elle subit, il résulte qu'on lui reprocha :
1° De n'avoir pas excité son domestique Delveau à faire son service dans la garde nationale, ce qui la rendait suspecte. — A quoi elle répondit qu'elle ne s'était jamais informée si son domestique faisait ou ne faisait pas son service.
2° On lui demanda si elle n'avait pas porté le deuil du tyran Capet, et combien de temps? — Répond qu'elle ne l'a jamais porté.
3° Si elle n'avait pas des frères émigrés?—Répond que trois de ses frères sont absents depuis 1779, qu'elle les croit émigrés, mais qu'elle n'en a jamais eu de nouvelles.
4° Si elle n'a pas fréquenté la femme du ci-devant président Billens-Guibeville (4) et le marquis de Corberon? Et, attendu qu'ils sont connus pour aristocrates, il ne peut manquer pour elle d'en être de même. — Répond qu'elle les connaît, mais ne les a jamais fréquentés; que du reste elle n'est pas de leur avis.
Aucune autre question, aucun autre reproche ne lui fut adressé, tout se borna à ces quelques suppositions; aucune autre preuve ne fut administrée. Là-dessus Fouquier-Tinville bâtit l'acte d'accusation qu'on va lire :
« Antoine-Quentin Fouquier, accusateur public du tribunal révolutionnaire, expose que Marie Lalaurencie-Charras, âgée de quarante-deux ans, native de Charras, près d'Angoulême, demeurant à Asnières, près de Paris, a été renvoyée au tribunal révolutionnaire.
« La fille Charras est sœur (il faut lire belle-sœur) de celle que le glaive de la loi a déjà frappée; elle portait la haine contre la Révolution au dernier période; on l'a vue porter le deuil du tyran Capet; ses discours révoltaient même jusqu'aux citoyens les plus indifférents sur la Révolution, et les aristocrates eux-mêmes prétendaient que la Charras était d'une aristocratie puante.
« D'après l'exposé ci-dessus, l'accusateur public a dressé la présente accusation contre la fille Charras pour avoir conspiré contre le peuple français.
« Fait au cabinet de l'accusateur public, le 25 germinal, l'an II de la République. »
Le 29 germinal, Marie Lalaurencie-Charras parut au tribunal révolutionnaire, et après une apparence de débat, voici les questions posées au jury :
« Est-il constant qu'il a existé des conspirations contre la liberté, la sûreté du peuple, tendant à rétablir la tyrannie et à détruire le gouvernement républicain, par suite desquelles conspirations des intelligences ont été entretenues avec les ennemis intérieurs et extérieurs, des secours en hommes et en argent ont été fournis, des moyens de corruption et de trahison ont été employés pour exciter la guerre civile, affamer le peuple, détruire la fortune publique, assassiner les patriotes, avilir et dissoudre la représentation nationale?
« Marie Lalaurencie-Charras est-elle complice de ces conspirations?
« La déclaration du juré est affirmative sur toutes ces questions.
« Paris, le 29 germinal, l'an II de la République.
« Signé : Dumas, président; Ducray, commis-greffier. »
En conséquence de ce verdict, Marie Lalaurencie-Charras fut condamnée à mort pour une conspiration dont il n'y avait même pas traces dans l'affaire; elle fut exécutée le même jour. De crime, il n'y en a pas même d'apparences; mais, comme je l'ai dit, elle était noble, sœur de trois émigrés, et de plus belle-sœur d'une guillotinée. Or, il entrait dans les principes de ces messieurs de frapper les proches parents de ceux qui avaient déjà subi cette peine; car, disaient-ils, jamais les ex-nobles ou les parents des guillotinés n'aimeront la Révolution (5).
(Archives de l'Empire, W, n° 348, dossier 702.)
Notes :
1. Voir la Justice révolutionnaire à Bordeaux, par Fabre de La Benodière. Discours de rentrée de la cour impériale. 1865.
2. Ils étaient père et mère de feu le marquis de Charras, ancien député de la Charente sous la Restauration, mort il y a quelques années au château de Montchaude, près Barbezieux.
3. On sait qu'à cette époque on appelait le juré ce que nous nommons aujourd'hui le jury.
4. Celle malheureuse dame avail été jugée et décapitée avec Mme la marquise de Charras.
5. Le tribunal était composé de René Dumas, président; Gabriel Deliège et Joseph Denizol, juges; Edmond Lescot-Fleuriot, substitut de l'accusateur public; Anne Ducray, commis-greffier. Je n'ai trouvé au dossier que les noms de qualre jurés : les citoyens Trinchard, Lumière, Desboisseaux, Besnard. Le défenseur était Chauveau-Lagarde.
Source : Les victimes de la terreur du département de la Charente, de Stéphane-Claude Gigon.
Il est difficile, même après avoir lu les dossiers de jugement de ces deux dames, de dire de quelles fautes, de quel péché véniel elles pouvaient être accusées; ce qu'il y a de plus clair, c'est qu'elles étaient ci-devant nobles, comme on disait dans le temps, et qu'elles avaient pour adversaire l'infernal Fouquier-Tinville, le fabricateur d'accusation, la hache exterminatrice du parti de la Terreur.
Elles furent toutes deux dénoncées par le comité révolutionnaire de la section du Mont-Blanc comme suspectes, en vertu de la loi de Merlin de Douai. Elles habitaient la commune d'Asnières, près Paris, avec le marquis de Charras, leur époux et frère, ancien inspecteur des maréchaussées, qui eut lo bonheur ou le malheur d'être tellement malade qu'on ne put le transporter en prison. Comme il me serait impossible d'extraire des trois pièces qui composent le dossier de Mme la marquise de Charras une seule raison de condamnation, je vais en citer les passages les plus saillants; c'est le seul moyen de faire connaître les procédés de justice de cette machine de destruction que le montagnard Lecointre (de Versailles) définissait ainsi : « Qu'est-ce qu'un tribunal révolutionnaire?... C'est un tribunal arbitraire où le parti dominant envoie ses victimes. »
Dont le conventionnel Doulcet-Pontécoulant a dit : « Les tribunaux révolutionnaires n'ont trouvé partout des coupables que parce que le gouvernement de la Terreur voulait qu'on trouvât partout des coupables. »
Et Bordas (de la Haute-Vienne), autre conventionnel : « C'est une caverne d'assassins (1) ! »
Voici l'interrogatoire subi devant Deliège, juge au tribunal criminel et révolutionnaire de Paris :
« D. Les nom, âge, profession, pays et demeure?
« R. Anne-Jeanne Roëttiers de La Chauvinerie, femme de Charras, ci-devant marquis (2), âgée de quarante et un ans, native de Paris, demeurant à Asnières, département de Paris, district de Franciade (Saint-Denis).
« D. Où est actuellement son mari?
« R. A Asnières, bien malade.
« D. Quelles sont ses opinions sur la Révolution?
« R. Qu'elle trouve bien fait ce qu'elle a fait.
« D. Ce qu'elle pense du jugement du tyran et de son infâme femme?
« R. Que puisqu'on les a jugés, elle pense qu'ils méritaient de l'être.
« D. Connaissez-vous la femme Billens?
« EL Oui, mes parents étaient bien liés avec les siens.
« D. Avez-vous su si l'on n'a pas tenu chez elle des conciliabules tendant à rétablir l'ancien régime?
« R. Que non.
« D. Si elle a un conseil?
« R. Qu'elle nomme le citoyen Villains.
« Lecture faite, elle persiste, etc. »
Sur cet interrogatoire Fouquier-Tinville brocha l'acte d'accusation suivant :
« Examen fait des interrogatoires, il résulte que ladite Charras était l'ennemie de la Révolution; que c'était chez elle que les contre-révolutionnaires tenaient leurs conciliabules; que l'on y tenait les discours les plus incendiaires contre la Convention nationale, contre les patriotes et contre Paris; on disait où il fallait mettre le feu afin d'en brûler toute la canaille, qui n'était bonne à conserver que du jour au lendemain; qu'elle paraît même avoir conservé des correspondances avec l'émigré Corberon.
« En conséquence, l'accusateur public requiert.... Le 7 pluviôse an II. »
Le 11 du même mois, la malheureuse dame comparaissait devant le tribunal révolutionnaire, composé de André Coffinhal, faisant fonctions de président; Pierre-Noël Subleyras et François-Joseph Denizot, juges; Gilles Liendou, substitut de l'accusateur public. Voici les questions posées au jury :
« Est-il constant qu'il a existé des intelligences et correspondances avec les ennemis dela République, tendant à favoriser par tous les moyens possibles le succès de leurs armés et leur entrée sur le territoire français, anéantir la souveraineté du peuple, dissoudre la représentation nationale, rétablir la royauté en France?
« Anne-Jeanne Roëttiers de La Chauvinerie, femme de François Charras, ci-devant marquis, est-elle du nombre de ceux qui ont entretenu lesdites intelligences?
« La déclaration du juré (3) est affirmative sur toutes les questions. »
Il paraît que cette dame et son mari s'étaient toujours montrés d'une bienfaisance et d'une générosité qui le? avaient rendus la providence de la contrée, aussi la population s'émut de leur arrestation. La société populaire d'Asnières se réunit et prit plusieurs délibérations dans l'une desquelles on lit ce qui suit : « Depuis vingt mois que la citoyenne Charras et son époux résident en cette commune, ils ont tenu une conduite sans reproche; que, au contraire, la société do ladite commune ne peut que leur donner les marques d'estime que l'on doit aux bons Français, et que les membres de ladite société peuvent et croient devoir attester devant les citoyens qui composent le tribunal révolutionnaire, que la citoyenne Charras et son époux ont toujours donné les preuves de leur zèle pour la chose publique, et qu'ils se sont montrés jusqu'à ce jour les amis de l'humanité, en soulageant la classe indigente d'uu côté, et mettant les premiers la main à l'œuvre lorsqu'il s'agissait de sacrifices envers la patrie. C'est pourquoi il a été arrêté, après nuire délibération de l'assemblée, qu'il serait nommé six commissaires, pris dans son sein, pour porter et remettre le présent extrait entre les mains de qui de droit. » Un grand nombre de signatures suivent au bas de cette pièce, qui est au dossier.
Mais que pouvaient faire les efforts de toute une population reconnaissante auprès de ce tribunal de sang, dont le septembriseur Danton, qui fut son créateur et sa victime, disait : « Je demande pardon à Dieu et aux hommes de l'avoir fait décréter ! »
La malheureuse femme fut condamnée à mort et exécutée le même jour.
(Archives de l'Empire, W, 316, dossier 477.)
Marie de Lalaurencie-Charras.— Il n'existe pas plus de charges contre cette victime que contre la précédente. La procédure fut identique : interrogatoire insignifiant, acte d'accusation faux et sans base, questions aux jurés inventées et étrangères au procès, condamnation capitale inique, telle est Pu raccourci la physionomie de cette nouvelle affaire. Au forai, tout cela n'était qu'une hypocrite comédie; il ne s'agissait pas de punir des coupables, mais bien d'anéantir des adversaires.
Mlle Marie de Lalaurencie était, comme son frère, native de Chatras, qu'elle avait habité toute sa vie, et elle eût mieux fait d'y rester. Depuis deux ans elle s'était rapprochée de son frère et de sa bellesœur qui habitaient Asnières, comme nous l'avons déjà dit. Son frère, très malade, avait réclamé ses soins, et elle n'avait pas hésité à braver le danger pour aider, dans cet acte pieux, sa belle-sœur, la malheureuse qui tomba sous le glaive de la loi, comme disait Fouquier-Tinville, quelques mois avant elle.
Il paraît que ce fut le même comité révolutionnaire de la section du Montblanc qui la fit arrêter comme sa belle-sœur.
Des différents interrogatoires qu'elle subit, il résulte qu'on lui reprocha :
1° De n'avoir pas excité son domestique Delveau à faire son service dans la garde nationale, ce qui la rendait suspecte. — A quoi elle répondit qu'elle ne s'était jamais informée si son domestique faisait ou ne faisait pas son service.
2° On lui demanda si elle n'avait pas porté le deuil du tyran Capet, et combien de temps? — Répond qu'elle ne l'a jamais porté.
3° Si elle n'avait pas des frères émigrés?—Répond que trois de ses frères sont absents depuis 1779, qu'elle les croit émigrés, mais qu'elle n'en a jamais eu de nouvelles.
4° Si elle n'a pas fréquenté la femme du ci-devant président Billens-Guibeville (4) et le marquis de Corberon? Et, attendu qu'ils sont connus pour aristocrates, il ne peut manquer pour elle d'en être de même. — Répond qu'elle les connaît, mais ne les a jamais fréquentés; que du reste elle n'est pas de leur avis.
Aucune autre question, aucun autre reproche ne lui fut adressé, tout se borna à ces quelques suppositions; aucune autre preuve ne fut administrée. Là-dessus Fouquier-Tinville bâtit l'acte d'accusation qu'on va lire :
« Antoine-Quentin Fouquier, accusateur public du tribunal révolutionnaire, expose que Marie Lalaurencie-Charras, âgée de quarante-deux ans, native de Charras, près d'Angoulême, demeurant à Asnières, près de Paris, a été renvoyée au tribunal révolutionnaire.
« La fille Charras est sœur (il faut lire belle-sœur) de celle que le glaive de la loi a déjà frappée; elle portait la haine contre la Révolution au dernier période; on l'a vue porter le deuil du tyran Capet; ses discours révoltaient même jusqu'aux citoyens les plus indifférents sur la Révolution, et les aristocrates eux-mêmes prétendaient que la Charras était d'une aristocratie puante.
« D'après l'exposé ci-dessus, l'accusateur public a dressé la présente accusation contre la fille Charras pour avoir conspiré contre le peuple français.
« Fait au cabinet de l'accusateur public, le 25 germinal, l'an II de la République. »
Le 29 germinal, Marie Lalaurencie-Charras parut au tribunal révolutionnaire, et après une apparence de débat, voici les questions posées au jury :
« Est-il constant qu'il a existé des conspirations contre la liberté, la sûreté du peuple, tendant à rétablir la tyrannie et à détruire le gouvernement républicain, par suite desquelles conspirations des intelligences ont été entretenues avec les ennemis intérieurs et extérieurs, des secours en hommes et en argent ont été fournis, des moyens de corruption et de trahison ont été employés pour exciter la guerre civile, affamer le peuple, détruire la fortune publique, assassiner les patriotes, avilir et dissoudre la représentation nationale?
« Marie Lalaurencie-Charras est-elle complice de ces conspirations?
« La déclaration du juré est affirmative sur toutes ces questions.
« Paris, le 29 germinal, l'an II de la République.
« Signé : Dumas, président; Ducray, commis-greffier. »
En conséquence de ce verdict, Marie Lalaurencie-Charras fut condamnée à mort pour une conspiration dont il n'y avait même pas traces dans l'affaire; elle fut exécutée le même jour. De crime, il n'y en a pas même d'apparences; mais, comme je l'ai dit, elle était noble, sœur de trois émigrés, et de plus belle-sœur d'une guillotinée. Or, il entrait dans les principes de ces messieurs de frapper les proches parents de ceux qui avaient déjà subi cette peine; car, disaient-ils, jamais les ex-nobles ou les parents des guillotinés n'aimeront la Révolution (5).
(Archives de l'Empire, W, n° 348, dossier 702.)
Notes :
1. Voir la Justice révolutionnaire à Bordeaux, par Fabre de La Benodière. Discours de rentrée de la cour impériale. 1865.
2. Ils étaient père et mère de feu le marquis de Charras, ancien député de la Charente sous la Restauration, mort il y a quelques années au château de Montchaude, près Barbezieux.
3. On sait qu'à cette époque on appelait le juré ce que nous nommons aujourd'hui le jury.
4. Celle malheureuse dame avail été jugée et décapitée avec Mme la marquise de Charras.
5. Le tribunal était composé de René Dumas, président; Gabriel Deliège et Joseph Denizol, juges; Edmond Lescot-Fleuriot, substitut de l'accusateur public; Anne Ducray, commis-greffier. Je n'ai trouvé au dossier que les noms de qualre jurés : les citoyens Trinchard, Lumière, Desboisseaux, Besnard. Le défenseur était Chauveau-Lagarde.
Source : Les victimes de la terreur du département de la Charente, de Stéphane-Claude Gigon.