La présentation de la comtesse du Barry

Les péripéties qui ont accompagné la présentation de la comtesse du Barry à la cour du roi Louis XV, et le rôle qu'y a joué la marquise d'Alogny, présentent un certain intérêt d'histoire locale. La tradition s'en est transmise depuis 160 ans, et mérite de ne pas tomber dans l'oubli.

En 1743, une pauvre femme de Vaucouleurs, nommée Anne Bécu, accouchait d'une fille naturelle qu'elle nommait Jeanne. Cette Jeanne venait à Paris assez jeune, y recevait de l'éducation, devenait dame de compagnie de la veuve d'un Fermier général chez qui elle faisait la connaissance d'un « roué » de l'époque, le comte Jean du Barry, dont elle devenait la maîtresse. Le comte du Barry exploitait la beauté de Jeanne Bécu et la présentait à Lebel, valet de chambre du Roi qui, frappé par sa beauté, la présentait au roi Louis XV qui l'agréait en 1768.

On lui fabriquait alors un nouvel état-civil, sous le nom de Jeanne Gommard de Vaubernier, et Jean du Barry proposait de la marier à son frère, Guillaume du Barry, qui était officier dans un régiment en Gascogne. Le mariage fut célébré et la nouvelle comtesse du Barry recevait un appartement dans le château de Versailles au-dessus de l'appartement du roi.

Très rapidement, le roi avait désiré que la comtesse du Barry put faire partie de son cercle intime. Louis XIV avait toujours mené à Versailles une existence publique. Le palais était ouvert en permanence à tout venant. Chacun pouvait y circuler librement et y était chez lui. On pouvait y suivre l'existence du roi, depuis le lever jusqu'au coucher, assister à sa toilette, à ses repas, à ses promenades. Il ne se réservait que ses heures de travail, soit seul, soit avec ses ministres.

Le roi Louis XV ne s'astreignait qu'une fois par semaine à cette existence publique. Les autres jours, il abandonnait de bonne heure ce qu'on nommait les « Grands Appartements », se retirait dans les « Petits Appartements », donnait à un chambellan la liste des personnes qui, ce soir-là, étaient admises à partager le repas du roi et à passer la soirée avec lui. Le chambellan appelait les favorisés, et les autres se retiraient. Ce cercle intime se composait de trois ou quatre femmes, et de cinq ou six hommes.

C'est dans ce cercle que le roi voulut introduire la nouvelle comtesse.

Malheureusement il fallait pour cela qu'elle fut « présentée » et qu'elle eut été admise à ce qu'on nommait les « Honneurs de la Cour ».

La « Présentation » et les « Honneurs de la Cour » étaient, réservés aux personnes qui pouvaient prouver oue leur noblesse remontait à une date antérieure à l'année quatorze cent. C'était l'inflexible Chérin, Juge d'Armes de la Cour, oui examinait les papiers cru'on lui présentait, et il ne pouvait être question de lui proposer ceux que pouvaient fournir le comte Guillaume du Barry et à plus forte raison Jeanne Bécu, même transformée en Gommard de Vaubernier.

Cependant, pour ces « Présentations », le roi s'était toujours réservé le droit de dispenser des preuves de noblesse les personnes qu'il désirait introduire dans son intimité, et la question de papiers n'était pas un obstacle infranchissable. Quand le roi avait donné son agrément, il fallait que la personne sollicitant l'entrée à la Cour trouvât Quelqu'un, appartenant déjà à la Cour, qui acceptât de faire la « Présentation ». Une présentation était une cérémonie de Cour. La personne qui présentait prenait la personne présentée par la main, l'amenait devant le roi, la lui présentait ; le roi prenait la main de la personne présentée, lui disait quelques paroles aimables, et l'embrassait. La personne qui présentait répondait de celle qu'elle avait présentée.

Les hommes étaient présentés au roi par des hommes, et les femmes par des femmes.

Il fallait donc trouver une femme qui acceptât de se porter forte pour la naissance illustre de Jeanne Bécu, après sa transformation en Gommard de Vaubernier, et garantissant la dignité de son existence passée. Quelle que fut la servilité des gens de Cour, cette demande du roi pour trouver une personne de bonne volonté se heurtait à un refus général. Il y eut de longues négociations et après bien des difficultés, Marie-Thérèse d'Abzac, dame de Pressac, marquise d'Alogny acceptait de faire la présentation.

Marie-Thérèse d'Absac, fille unique de Gabriel d'Abzac, seigneur de Pressac et de Marie-Anne de Nesmond avait épousé, en 1756, Thomas, marquis d'Alogny, baron de Saint-Pardoux-la-Rivière, en Périgord. Présentée à la Cour, elle y aurait été, d'après la tradition, dame d'honneur de Mesdames, filles du roi Louis XV. D'après les souvenirs locaux, elle aurait été veuve d'assez bonne heure, son fils, Thomas-Marie, né à Angoulême en 1757, aurait vécu en Périgord, pendant que la marquise d'Alogny résidait à Versailles, où ses affaires financières auraient reçu de grands dommages par suite de la passion du jeu.

Elle se trouvait dans une situation très difficile quand on lui proposait de faire la présentation de la comtesse du Barry. Après bien des hésitations, elle finissait par accepter à la condition que le roi commençât par payer ses dettes dont elle fournissait le détail.

Les dettes furent payées, et jour était pris pour la cérémonie de la présentation quand la marquise d'Alogny fit une chute dans un des escaliers de Versailles et se déclarait incapable de se lever pour faire la présentation' promise.

Le roi Louis XV, à tort ou à raison, ne prit pas cette défaite au sérieux, et la marquise d'Alogny était exilée dans sa terre de Pressac, privée de son emploi, avec défense de revenir à la Cour.

La présentation fut retardée jusqu'à ce qu'on ait trouvé une personne de bonne volonté pour la faire.

Quant à la. marquise, elle était incorrigible. Elle se remariait avec un Chaigneau de la Gravière, beaucoup plus jeune qu'elle, recommençait à accumuler les dettes, et 10 ans après, en 1779, sa terre de Pressac était saisie par ses créanciers.

Réfugiée à Angoulême avec son mari, elle y végétait misérablement et y mourait dans la misère au commencement de la Révolution.

(Société Archéologique et historique de la Charente, 1932)

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