Violences du seigneur de Charras

En 1646, dans le bourg de Charras, vivaient Jean de La Laurencie, seigneur de Charras, Bertrand son fils, sieur de Seguignas et Jean son petit-fils, sieur de Jumillac. Y vivait aussi Jean Autier, procureur au Présidial d'Angoulême. Le 17 juillet 1646, le sieur de Jumillac et deux de ses valets, armés d'arquebuses, entrèrent dans la cour et le jardin du procureur qu'ils finirent par rencontrer. Ce dernier, probablement en colère de voir qu'on pénétrait ainsi chez lui sans autorisation, ne salua pas le sieur de Jumillac, son seigneur, « lequel lui demanda s'il ne le connaissait pas et lui bailla un grand soufflet. Et incontinent, les deux valets mirent leurs armes en état de tirer »... Le procureur n'avait plus qu'à rentrer chez lui... Comme il s'en allait, le sieur de Jumillac lui cria « qu'il était aussi absolu dans Charras que le Roi était dans Paris ! »

Une trentaine d'années plus tard, le 13 août 1675, on se plaignit encore du sieur de Jumillac. Il avait donné des coups de bâton à Pierre Rivet, praticien, qui dut attendre plusieurs années pour obtenir réparation de cet outrage. « En effet, disait l'offensé dans sa plainte au Lieutenant-Criminel, que peut-on s'imaginer de plus injurieux et de plus outrageant que des coups de bâtons qui portent avec eux une flétrissure irréparable et l'entière perte de l'honneur, comme a remarqué un des premiers orateurs de notre temps qui, faisant à ce sujet la différence de l'épée et du bâton, dit que c'est un grand malheur de recevoir des coups de bâton, que l'épée est l'instrument de la guerre et que par conséquent il est honnête ; que le bâton est l'instrument des outrages et que par conséquent il est infâme ; que qui frappe avec une épée veut attenter à la vie, mais que qui frappe avec un bâton veut attenter à l'honneur »...

Une douzaine de jours plus tard, le sieur de Jumillac adressa de son côté une plainte au Lieutenant-Criminel. « Se promenant dans son bourg de Charras, il rencontra le Père Baruteau, religieux, accompagné de Pierre Rivet et de quelques autres personnes. Il salua le religieux en particulier, et les autres en général, lesquels aussi de leur part lui rendirent le salut qui lui était dû, à la réserve de Pierre Rivet, lequel avec une mine et une contenance fières se tint toujours couvert pendant que son seigneur avait la tête nue, ce qui l'obligea d'essayer de faire tomber le chapeau de Pierre Rivet hors de sa tête, en le poussant avec son bâton et en lui remontrant son devoir. Cependant, poursuivit le seigneur dans sa plainte, ledit Rivet qui se croyait hors la girouette de son seigneur à raison de la qualité de praticien qu'il était venu prendre à Angoulême, prétendait que ce procédé était un grand crime et une injure très outrageante. Il ne s'agissait pourtant que d'un chapeau, qu'un seigneur avait pensé pouvoir renverser au fils d'un paysan, son tenancier, pour une incivilité aussi grossière. Il n'y avait que trois jours que ledit Rivet avait quitté l'aiguillon avec lequel il piquait les bœufs de la charrue que son père conduisait tous les jours. Il était venu en cette ville d'Angoulême, il s'était mis une plume à la main et s'était acquis la qualité de praticien. Il croyait par là être autant que son seigneur et s'imaginait être en droit de lui contester jusque dans le bourg de Charras et de lui refuser le salut. Or, s'il était bien vrai que le salut entre égaux était seulement de civilité, il était de devoir et d'obligation aux Inférieurs envers les Supérieurs, comme du tenancier envers son seigneur ».

A tout cela, Pierre Rivet, répliqua « qu'il demeurait d'accord que véritablement il n'était pas né gentilhomme, mais peu s'en fallait, qu'il était d'une bonne famille et descendait de bourgeois considérables »... et il finit par obtenir 40 livres de dommages-intérêts.

Source : Emotions populaires en Angoumois, de Gabriel Delâge.

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