La cocarde de Combiers

 Jugement du 18 messidor, an deuxième de la République Française, une et indivisible, qui condamne Marie Amilien, veuve Amilien et Méry Vidaud, témoins, à huit jours de prison, pour avoir osé paraître dans le Sanctuaire des loix, sans avoir la cocarde nationale.

Extrait des Registres du greffe du Tribunal criminel du Département de la Charente, séant à Angoulême.

Séance publique du 18 Messidor, l'an second de la République Française, une et indivisible.

En l'audiance du Tribunal criminel du Département dé la Charente, tenue pour le jugement de l'accusation portée contre F. Valade, Joubert, P. Valade, Léonard Lacaton et Michel Chevrier, ci-devant maire, officiers municipaux et Agent national de la commune de Combiers ; à la requête de l'Accusateur public, se sont présentés successivement pour déposer, Marie Amilien, veuve Amilien ; la citoyenne Grolier, veuve Boyer ; Guillaume Forestas et Méry Vidaud, témoins, assignés â la requête de l'Accusateur public ; il a été observé que ces citoyens n'avoient point la cocarde tricolore, et osoient se présenter jusque dans le Sanctuaire des loix, sans le signe auguste de notre liberté ; ouï sur ce, l'Accsateur public qui a de suite conclu contre eux à l'exécution des loix, le Tribunal condamne ladite veuve Amilien et Grolier, veuve Boyer, à huit jours de prison, conformément aux dispositions-de la loi du 21 septembre 1793, dont il a été fait lecture, et qui est ainsiconçu :

« La Convention nationale, sur la proposition d'un membre, décrète que les femmes qui ne porteront pas la cocarde tricolore seront punies la, première fois de huit jours de prison ; en cas de récidive, elles seront réputées suspectes ; et quand à celles qui arracheroient à une autre ou profaneroient la cocarde nationale, elles seront punies de six années de réclusion » ;

Et avant de prononcer définitivement contre lesdits Forestas et Vidaud, ordonne qu'ils seront provisoirement retenus ;

Et le même jour, vu par le Tribunal l'attestation donnée par les Inspecteurs et Administrateurs de la forge ; de Ruelle, du zèle de la veuve Boyer, pour remplir les réquisitions faites à la forge de Combiers dont elle est propriétaire, et que son arrestation peut entraver l'exécution des mesures qui lui ont été prescrites ; et après avoir entendu la nouvelle municipalité de Combiers, présente à la barre, qui a attesté le civisme de la veuve Boyer et de Forestas, et qu'ils sont dans l'usage de porter la cocarde nationale ; qui déclare en outre ne pouvoir donner la même attestation en faveur de la veuve Amilien et dudit Méry Vidaud ; ouï sur ce, l'accusateur public, le Tribunal ordonne que ladite Grolier, veuve Boyer, et ledit Forestas, seront sur le champ mis en liberté ; ordonne que Méry Vidaud, provisoirement retenu, tiendra prison pendant huit jours, que le présent jugement sera envoyé au Comité révolutionnaire, de ce District, imprimé et affiché au nombre de cent exemplaires aux frais des détenus. Fait et prononcé en l'audience publique du Tribunal criminel du Département de la Charente, où siégeoient les citoyens Léridon, président ; Debresme, Paulet et Doche, juges ; ainsi signé Léridon, Debresme, Paulet et Doche.

Au nom du Peuple Français : il est ordonné à tous huissiers de mettre le présent jugement à exécution, à tous commandans ou officiers de la force publique, de prêter main-forte lorsqu'ils en seront requis, et aux Commissaires nationaux près des Tribunaux d'y tenir la main. En foi de quoi le présent jugement a été signé par le président et le greffier.

Pour expédition :

Léridon, président ; Thibaud, greffier.

Attestation :

Egalité — Fraternité — Liberté

Nous, Inspecteur général de l'Artillerie de la Marine et Directeur de la Fonderie nationale de Ruelle et autres, certifions que la forge de Combiers, District d'Angoulême, exploitée par la veuve Boyer, est en réquisition pour le service de la République depuis le 4 Frimaire dernier ; que depuis cette époque, la veuve Boyer a constamment apporté dans ses travaux le zèle et l'activité la plus soutenue ; qu'elle a fait de son propre mouvement tous les sacrifices pour prolonger son fondage malgré les basses eaux, et que son arrestation peut entraver l'exécution des mesures qui lui ont été prescrites pour se préparer à un nouveau fondage aussitôt que la situation des eaux le permettra.

Ruelle, le 18 Messidor, an second de la République, une et indivisible.

Inspecteur général de l'Artillerie de la Marine,
Dubouchage.

Le Directeur de la Fonderie,
Néard.

Angoulême : chez P. Broquisse, Imprimeur du Département, deuxième année de la République.

(Études locales, 1928)

Articles les plus consultés