La fonderie de canons de Ruelle
La fonderie de canons de marine à Ruelle, à 7 kilomètres d'Angoulême, est une des premières industries à en bénéficier. Elle a été créée en 1752 par un Charentais, le marquis Marc René de Montalembert, qui a abandonné la carrière militaire pour se lancer dans les affaires. Il possédait déjà à Javerlhac, en Dordogne, la forge de Forgeneuve, spécialisée dans la fabrication de canons de petit calibre ; ayant obtenu du ministre un marché pour la fourniture en quatre ans de 800 canons de marine, il doit se doter de nouveaux moyens pour la fonte des canons de gros calibre ; aussi achète-t-il une forge située sur un petit affluent de la Charente, le Bandiat, et en crée-t-il une seconde sur un autre affluent, la Touvre, à Ruelle. Il dispose ainsi d'une rivière au débit régulier et puissant, à proximité de la forêt de la Braconne, dont le bois fournira le charbon de bois pour les hauts-fourneaux, et de gisements de minerai de fer. Il installe des ateliers, une digue pour la distribution des eaux au moulin de force motrice, des parcs pour le minerai, un lavoir à minerai, deux hauts-fourneaux avec leurs soufflets, un atelier de moulage et une machine à forer ; suivant l'invention mise au point en 1734 par un fondeur suisse, Jean Maritz, « les canons ne sont plus coulés creux comme autrefois, mais forgés pleins, puis forés ». Le nouveau procédé leur donne une âme bien rectiligne, lisse et régulière, et par conséquent une meilleure portée. Mais la technique en est difficile et Montalembert s'occupe plus de la publication des onze volumes in-4° de son ouvrage de théorie militaire, La Fortification perpendiculaire, que de sa fabrique de canons. Il y défend des thèses hardies, opposées à celles de Vauban ; l'usage intensif des canons, les tracés polygonaux de murs fortifiés et les ouvrages détachés devraient remplacer, selon lui, les fronts bastionnés continus ; il fera peu d'adeptes, à part Choderlos de Laclos.
A la fonderie, les premiers résultats sont décevants : sur les 1 400 canons qu'elle devait livrer à Rochefort en 1753, elle n'en a fabriqué que 149 et plus de la moitié est allée au rebut. Sur ordre du roi, la forge de Ruelle devient alors une régie sous la direction de Maritz, qui met en place de nouveaux équipements. La production repart et, en 1760, la fonderie livre 2 388 canons à Rochefort. En 1762, Maritz cède la place à un entrepreneur indépendant nommé par Choiseul, Baynaud, et pendant les dix années suivantes la forge produit chaque année 30 000 puis 40 000 quintaux de canons, mortiers et crapauds. Turgot n'intervient dans ses activités que pour faciliter le transport des canons, d'abord par la route jusqu'à Angoulême puis par gabares jusqu'à Rochefort.
Montalembert récupère en 1772 sa fonderie mais il est ruiné ; il la cède en 1774 au comte d'Artois contre 100 000 livres comptant et une rente viagère de 20 000 livres. En 1776, le comte d'Artois l'échange à Louis XVI contre trois forêts domaniales en Champagne. Des nouvelles Fonderies et Manufactures royales de Ruelle partiront en 1779, à bord du Bonhomme Richard de John Paul Jones, cent canons destinés aux Insurgents américains.
Source : Turgot, de Jean-Pierre Poirier.