Le notaire incendiaire
La semaine dernière, la Cour d'assises d'Angoulême était appelée à juger une singulière affaire.
L'accusé était un ancien notaire du nom de Macrez, âgé de quarante-cinq ans, arrêté le 16 mai dernier, au moment où il cherchait à mettre le feu à la forêt de Braconne.
Conduit devant la gendarmerie, l'incendiaire vagabond déclara qu'il ne parlerait que devant le Jury.
L'instruction a rétabli les phases de l'existence de l'accusé.
A l'âge de vingt-cinq ans, Macrez fut nommé notaire à Nogent-le-Bernard (Sarthe), où il resta pendant trois ans ; ses concitoyens l'avaient choisi comme maire. Pendant cette période, il mena une vie très régulière ; puis il vendit son étude et alla s'établir notaire à Oucques (Loir-et-Cher), près de la commune où habitait son frère, également notaire. Là, sa conduite changea brusquement ; il mena une vie de désordre qui détermina sa femme à demander le divorce ; puis il se lança dans une spéculation sur les immeubles où il ne fut pas heureux.
En 1883, il s'aboucha avec un marchand de bois de Paris et acheta au comte de Montbron, pour un million, la forêt d'Horte, située en Charente. Sur ce prix, il acquitta seulement 200.000 francs. Le surplus n'ayant pas été versé, la forêt fut remise en vente.
Macrez alla ensuite en Algérie ; là, il commit différents délits qui lui valurent des condamnations. Rentré en France, il se fit de nouveau condamner plusieurs fois pour fabrication de faux certificats, vol et escroquerie.
A l'audience, questionné sur le mobile de sa tentative d'incendie, il a répondu : « J'ai choisi une forêt appartenant à l'État pour n'être pas soupçonné d'avoir voulu agir par vengeance. Quant au mobile, le voici : J'ai outragé l'Être suprême par ma vie débauchée ; je dois expier mes fautes. Vous allez m'envoyer aux travaux forcés, ce sera mon expiation. »
Devant cette déclaration, la Cour, sur la réquisition du Ministère public, a renvoyé l'affaire à une autre session et a commis trois médecins-pour examiner l'état mental de Macrez.
(Journal L'Univers illustré, 6 octobre 1894)