Les dernières charrettes de la Terreur
Elie-François de Labrousse-Belleville, ancien lieutenant de chevau-légers, a été lui aussi rendu à la vie civile par la suppression de son corps, en 1788. Agé alors de trente-cinq ans, il s'est retiré dans ses propriétés de la Loire pour se consacrer à l'agriculture.
De tempérament batailleur malgré sa petite taille, à peine un mètre soixante, il est peu de dire qu'il ne s'est pas adapté aux idées nouvelles. Clamant à tout propos son élitisme aristocratique, il régentait son personnel l'épée à la main et répondait aux réclamations légitimes en montrant son derrière. Il faisait passer pour son valet un émigré notoire, lisait les Actes des Apôtres, feuille incivique, faisait baptiser les nouveau-nés du village dans sa chapelle particulière, et par des prêtres réfractaires qu'il y dissimulait.
En outre, il a envoyé un de ses serviteurs à La Rochelle « y transporter des marchandises et les débiter à tel prix que ce fût, pourvu qu'il lui portât l'argent sonnant ». S'il bradait ainsi ses biens, c'était évidemment pour avoir du numéraire et rejoindre son corps à Coblence, où précisément les chevau légers venaient d'être reconstitués par les frères du roi.
Enfin, il boycottait tant qu'il pouvait les engagements, de manière originale, comme l'expose imperturbablement son acte d'accusation :
« Pour se faire un parti, il attirait chez lui la jeunesse, par des bals et des festins qu'il donnait jour et nuit, il y formait des complots contre la sûreté de ceux qui s'étaient voués à la défense de la patrie, et on l'a vu, pour empêcher les enrôlements, menacer les volontaires de la fureur des Uhlans ! »
En somme, il paye cher son goût pour la danse, et les danseurs. Rien n'a pu le sauver, ni d'affirmer qu'il a conseillé lui-même à ses métayers de rejoindre l'armée, ni d'ajouter qu'il n'était pas assez idiot pour se glorifier du titre honteux d'aristocrate, même pas son humble billet à Fouquier Tinville :
« Il serait très important pour moi que tu daignes m'accorder quelques minutes, pour te faire connaître des pièces justificatives que n'a vu ni pu voir le comité de Montrond qui m'a désigné pour être traduit au Tribunal révolutionnaire. Et te parler d'une disposition du décret du 21 messidor qui paraît faite exprès pour le cas où je suis. Daigne accorder à la vérité, à l'humanité, le petit instant qu'elles te demandent. J'ai aussi à te faire une dénonciation instante et importante. »
La loi du 22 prairial, 10 juin, réservait à la Convention et aux Comités le droit exclusif de déférer les suspects au Tribunal, ce qui mettait fin à de nombreux abus commis par les autorités locales. Le décret du 21 messidor, 9 juillet, prévoyait la mise en liberté, après examen de leur cas, des détenus qui auraient pu en être victimes, ce qui les faisait bénéficier rétroactivement des nouvelles dispositions. Labrousse-Belleville pouvait en effet prétendre se trouver dans ce cas.
Source : Les dernières charrettes de la Terreur, de Françoise Kermina.