Une habitante de Saint-Mary au tribunal révolutionnaire
Madeleine-Elisabeth Maulmont épouse Regnauld-Lasoudière
Guillotinée le 4 juillet 1794
Le 4 juillet 1794 (16 messidor an II), dans la première section du tribunal révolutionnaire, ce fut une véritable boucherie, dit Wallon dans son Histoire du Tribunal révolutionnaire. Dix- neuf personnes sur vingt furent condamnées à mort. La plupart étaient des gens des frontières, doublement mis en péril quand l’ennemi les envahissait; ils l’avaient subi, et on les accusait de l’avoir reçu. Neuf étaient envoyés par le représentant du peuple Mallarmé, comme ayant eu des intelligences avec l’ennemi, ou ayant continué leurs fonctions à Briey, ou à Etain pendant l’occupation étrangère. Les autres, au nombre desquels était Madeleine-Elisabeth Maulmont, étaient accusés de différents délits. Ils furent tous exécutés le même jour. M. le Docteur Cl. Gigon (1) nous fournit l’histoire de cette malheureuse mère dont le crime principal fut d’avoir essayé de défendre la subsistance et les vêtements de ses enfants contre la rapacité des réquisitionnâmes. Elle était née â Mâche, département de la Creuse (2), et avait épousé M. Regnauld de Lasoudière, d’une famille de l’Angoumois. Ils habitaient ensemble le château de Saint-Mary, canton de Saint-CIaud, département de la Charente.
Au commencement de la Révolution, M. de Lasoudière avait émigré et sa femme, probablement sur son conseil, avait fait prononcer son divorce lorsque la Terreur eût organisé la persécution. contre tout ce qui ne partageait pas ses sanglants appétits. Cette malheureuse mère, après ce sacrifice, essayait de vivre et d’élever dans l’isolement sa famille, composée de quatre jeunes enfants. Mais il n’y avait ni paix ni trêve pour ceux qui habitaient le district de La Rochefoucauld, sous la surveillance de son exécrable comité révolutionnaire, et le divorce de cette dame ne devait pas lui être utile.
Le comité révolutionnaire, toujours aux écoutes, avait appris que la citoyenne Maulmont avait montré de la répugnance à livrer ses dernières couvertures de lit frappées de réquisition; qu’elle avait même dissimulé quelques boisseaux de grains destinés à la nourriture de ses enfants. Le prétexte était trouvé. Le comité révolutionnaire lâcha sur la malheureuse mère sa municipalité de Saint-Mary, qui se chargea de faire une enquête; le comité lui-même procéda à un interrogatoire, et de là résultèrent les charges suivantes.
Mme de Lasoudière, lorsqu’on vint lui enlever scs dernières couvertures, avait, devant le voiturier Héraud, chargé du transport, répandu des larmes en disant : « Je suis bien malheureuse ! Si j’avais su l’être autant, je m’en serais allée aussi : ceux qui sont partis sont moins malheureux que moi. » Et, lorsque le comité lui demandait pourquoi elle avait hésité à livrer ces couvertures destinées aux volontaires du district, pourquoi elle avait pleuré, elle répondit : « C’est que l’hiver approchait, nous avions froid; lorsqu’on m’a pris les couvertures du mobilier de mon mari, au nombre de quatorze, je n’ai rien dit; mais lorsqu’on a pris les miennes, si utiles à moi et à mes enfants, j’ai eu du regret, j’ai pleuré. » Premier crime.
Dans ces temps de liberté et de douce philosophie, comme disaient les sans-culottes, chaque citoyen était obligé de dénoncer la quantité de grains qui était en sa possession; mais chacun cherchait à échapper à cette mesure vexatoire, en dénonçant une quantité moindre que la réalité ; seulement tous n’étaient pas l’objet de la surveillance et de l’inimitié du comité révolutionnaire de La Rochefoucould et de la municipalité de Saint-Mary.
Aussi, seule, Mme de Lasoudière fut signalée comme ayant fait une déclaration inférieure à la réalité. Elle pensait d’abord qu’il y aurait tolérance pour elle comme pour les autres, mais, ayant été prévenue que le maire allait venir vérifier, elle s’empressa d’aller à la mairie faire une nouvelle déclaration. Ce bon vouloir ne lui servit d’ailleurs de rien. La municipalité, fidèle exécutrice des intentions du comité révolutionnaire, délégua le citoyen maire Fournet, qui, après vérification faite, trouva une cinquantaine de boisseaux de plus que la déclaration. Deuxième crime.
On peut ajouter encore quelques autres « attentats » du même genre que ceux-ci. Elle avait dit, un jour, en voyant un grand nombre de volontaires qui parlaient pour l’armée: Ah! avant longtemps, d y aura de la place de reste dans l’église ! « Et son métayer, qu’on faisait déposer contre elle, déclara qu’elle avait ajouté devant lui, en parlant de ces mêmes volontaires : « Le pays ne perd pas grand chose à leur départ; ce sont des câlins, des fainéants, des meurt-de-faim, qui n’ont rien à faire chez eux, et qui s’en vont pour se révolter contre nous. » Les dénonciateurs ajoutèrent qu’elle avait fait des menaces. Comme on la savait seule, sans protections, les patriotes et les pillards de Saint-Mary ne se gênaient pas et ravageaient ses propriétés, et, sans doute pour essayer de les elîrayer, puisque personne ne la protégeait, elle dit : « J’espère bien qu’un jour tout cela se trouvera; mon mari n’est pas si loin qu’on ne le croit. » La malheureuse, elle cherchait encore à s’abriter de la force de son protecteur naturel.
Il y avait bien encore quelques autres propos ou commérages, °n les trouvera dans les pièces de son dossier, dont voici le texte :
Déclaration de témoins et renseignements contre la Maulmont
Extrait du procès-verbal du 4 floréal (23 avril 1794), de la municipalité de Saint-Mary
A l'instant est comparu le citoyen Louis Hébrard, du lieu de Chez-Michot, d'après l'invitation que lui a faite la municipalité, et, après lui avoir dit de nous déclarer la vérité, et rien que la vérité, lui ayant demandé son son âge, il nous a dit avoir environ 60 ans; lui ayant dit de nous déclarer s'il ne s'était point aperçu que ladite Maulmont ait tenu quelques propos contre la République et tendant au détriment de la République, a déclaré qu'il y a environ deux ans que ladite Maulmont lui avait dit que, sous peu de jours, le monde ne serait pas gêné dans l'église, et c'était en parlant d'un grand nombre de volontaires qui partaient; elle dit aussi que son mari, émigré, n'était pas aussi loin qu'on se l'imagine.
Lecture faite a persisté et déclaré ne savoir signer.
Est aussi comparu le citoyen Gaspard (Albert), du lieu de la Grange, présente commune, âgé de 40 ans. Lui ayant aussi demandé de nous déclarer s’il s’est aperçu que ladite Maulmont ait tenu quelques propos contre la Révolution, il nous a déclaré qu’il y a environ deux ans il fut à la foire de Saint-Cloud pour vendre les bœufs de ladite Maulmont, et qu’à son retour de la foire il rentra dans sa chambre pour lui rendre ses comptes; elle lui demanda s’il y avait quelque chose de nouveau; ledit Gaspard (Albert) lui répondit qu’il y avait beaucoup de volontaires qui partaient. Ladite Maulmont lui répondit que c’était tous des câlins, des fainéants et des meurt- de-faim; qu’ils n’avaient rien à faire chez eux, et qu’ils s’en allaient pour se révolter contre nous. Il déclare aussi qu’il y a environ un an qu’il s’était trouvé avec ladite Maulmont; ils regardaient ensemble de l’ouvrage qu’un citoyen avait fait dans une pièce de terre que son mari s’était emparé, disant qu’elle était à lui, et que ce même homme qui avait fait cet ouvrage voulait aussi la réclamer, la dite de Maulmont lui dit que quand son mari serait de retour, qu’il paierait bien cela ainsi que les autres.
Qui est tout ce que le déclarant a dit savoir.
Lecture faite, a persisté et déclaré ne savoir signer.
Est aussi comparu le citoyen J. d’Angou, au lieu de Chez-Ie-Bossu, présente commune. Il nous a répondu être âgé de 38 ans. Lui ayant demandé si la Maulmont, femme Regnauld, émigré, avait tenu quelques propos en sa présence contre la Révolution, il a répondu qu’il y a environ deux ans, ladite Maulmont lui dit que les habitants faisaient beaucoup de dégâts dans ses différents domaines, mais que, quelque jour, tout cela se trouverait bien. Qui est tout ce que le déclarant a dit savoir. Lecture faite, a persisté et déclaré ne savoir signer, Est aussi comparu le citoyen J. Chaland l’aîné, demeurant au lieu de Saint-Mary, présente commune, lequel a déclaré être âgé de 45 ans, et que ladite Maulmont lui avait dit, il y a environ deux ans, qu’ «avant qu’il fût peu de temps, il y aurait des guerres civiles, et que le monde se tuerait tous. » Qui est tout ce qu’il a dit savoir.
Lecture faite, a persisté et déclaré ne savoir signer.
Est aussi comparu le citoyen Hébrard, demeurant au lieu de Chez-Ie- Bossu, présente commune, lequel nous a déclaré être âgé de 38 ans, et que ladite Maulmont lui avait dit, il y a environ deux ans, qu’il fallait semer beaucoup d’avoine, attendu que, si les troupes entraient en France, il en faudrait beaucoup, et que, par conséquent, elle deviendrait très chère.
Qui est tout ce qu’il a dit savoir.
Lecture faite, a persisté et déclaré ne savoir signer.
Est aussi comparu le citoyen Charles-Joseph Héraud, du chef-lieu de la présente commune, lequel nous a déclaré être âgé de 28 ans, et que ladite Maulmont lui avait dit, il y a environ six mois, qu’il avait monté au ci-devant château de Saint-Mary, pour faire conduire les couvertes de ladite Maulmont au district de La Rochefoucauld, en vertu d’une lettre adressée à la municipalité par les administrateurs du district de la Rochefoucauld... en conséquence le citoyen lléraud nous a dit qu’au moment où ladite Maulmont avait vu qu’on enlevait ses couvertes, elle se mit à pleurer, en disant qu’elle était bien malheureuse; que si elle avait su de l’être autant, elle s’en serait allée, elle aussi, en ce que ceux qui s’en étaient allés étaient plus heureux qu’elle, et cela en parlant des émigrés.
Qui est tout ce qu’il a dit savoir.
Lecture faite, a persisté et a signé.
Héraut.
La déposition du citoyen Héraud étant faite, nous avons demandé à d’autres citoyens s’ils avaient quelque chose à dire contre la Maulmont; personne n’a répondu. Est cause que nous avons fait et arrêté la présent procès-verbal les jour, mois et an que dessus, et avons signé :
Fougerat, agent national; Fournet, maire; Philippe Besson, officier municipal; L. Biès, officier municipal.
A l’instant que le procès-verbal a été clos, est comparu le citoyen Charles Rondaud, du lieu de la Grange, présente commune, nous ayant dit qu’il avait quelque chose à déposer contre la susdite Maulmont. A l’instant, lui avons demandé son âge : il nous a dit avoir 35 ans, et qu’il y a environ trois ans que ladite Maulmont lui avait dit, dans une grange, qu’elle voulait tuer quelqu’un elle aussi.
Qui est ce que le déclarant a dit savoir.
Lecture faite, a persisté et a déclaré ne savoir signer.
Pour copie conforme : Machenaud, vice-président; Dubois, secrétaire.
Procès-verbal de visite domiciliaire
Extrait du procès-verbal de la municipalité de la commune de Saint-Mary, contre la nommée Magdeleine Maulmont, femme de Regnaud La Sourdière, émigré, divorcée, relativement aux fausses déclarations qu'elle a faites de ses grains.
Aujourd’hui II octobre 1793, je soussigné, Barthélemy Fournet, officier municipal, en vertu de la commission à nous donnée par délibération du conseil de la commune de Saint-Mary, me suis transporté en la maison de ladite Maulmont, aux fins de visiter sa déclaration de blé, et, éfant monté dans les greniers, j’ai mesuré les grains qui y étaient. Il s’y est trouvé sept boisseaux en farine et six boisseaux de inclure aussi en farine, trente-sept boisseaux froment en grain et huit boisseaux d’avoine aussi en grain, le tout en sus tlu nombre qu’elle avait déclaré. Le présent fait et clos en ladite maison le jour ci-dessus. B. Fournet. Le tout sincère et conforme à la vérité. A Saint-Mary, maison commune, ce 25 nivôse, II e année républicaine (14 janvier 1794).
Sebastien Saulnier, Jean Boulestin, officier; Robin, officier; B. Fournet maire; R. Merceron, agent national.
Pour copie conforme : Machenaud, vice-président; Dubois, secrétaire.
Muni de la dénonciation de la municipalité de Saint-Mary qu’il avait provoquée, le comité révolutionnaire de La Rochefoucauld avait incarcéré Mme de Lasoudière et après son interrogatoire du 24 floréal (13 mai 1794), ses pièces furent adressées . au district, afin d’expédier l’accusée au tribunal révolutionnaire à Paris.
Le directoire du district, à son tour, dès le lendemain, 25 floréal, prit un arrêté pour faire expédier de brigade en brigade Mme de Lasoudière, avec six autres malheureux, à l’accusateur public du tribunal révolutionnaire, « pour, sur le tout, être statué ce qu’il appartiendra », c’est-à-dire pour être envoyés à la guillotine, comme cela arriva à tous en effet.
Voici l’interrogatoire subi devant le comité, l’arrêté du i district, et la feuille de route de la gendarmerie pour les conduire à Paris.
Interrogatoire devant le comité
Extrait du procès-verbal de la séance du comité de surveillance révolutionnaire établi à La Rochefoucauld, du 24 floréal, IIe année républicaine (13 mai 1794).
Le comité, vu les renseignements donnés par la municipalité de Saint- Mary, canton do Chasseneuil, contre la Maulmont, femme de Regnaud de La Soudière, émigré, voulant procéder ii son interrogatoire sur les faits à elle imputés, il l’a fait conduire devant lui par le concierge de la maison de réclusion, et, procédant audit interrogatoire, il a été demandé à ladite Maulmont :
D. — Ses noms, surnoms, âge, profession et demeure,
R. — S’appeler Magdeleine-Elisabeth Maulmont, être âgée de 34 ans, ci-devant noble, demeurant à Saint-Mary, femme divorcée de Reynaud La Soudière.
D. — Si elle n’a pas contribué à l’émigration de son mari.
R. — Que non.
D. Si elle sait eu quel endroit il est maintenant, et si elle n'a pas reçu des lettres de lui :
R. — Ne savoir où il est; qu’elle n’a reçu de lui qu’une lettre datée d’Aix-la-Chapelle, où il était allé prendre les eaux, il y a environ dix-huit mois.
D. — Si elle n’a pas dit, il y a environ un an, qu’on ne serait pas gêné dans la ei-deyant église, parlant d’un grand nombre de volontaires qui partaient, et si. elle n’a pas dit aussi que son mari, émigré, n’était pas aussi loin que l’on se l’imaginait.
R. — Qu’elle n’a jamais tenu ce propos.
D. — Si elle n’a pas tenu des propos contre les volontaires, en disant qu’ils étaient tous des câlins, des meurt-de-faim, et qu’ils n’avaient rien à faire chez eux.
R. — Que tout cela est faux.
D. — Si, un jour, examinant le labourage d’une pièce de terre dont son mari s’était emparé, laquelle pièce était réclamée par le propriétaire, elle ne dit pas : « Quand mon mari sera de retour, il paiera bien, ainsi que les autres. »
R. — Que cela est également faux.
D. — Si, il y a environ deux ans, se plaignant de quelques dommages qu’on lui causait sur ses domaines, elle ne dit pas que, quelque jour, tout cela se trouverait bien, et ce qu’elle entendait par là.
R. — Qu’il peut se faire qu’elle se soit plainte avec justice des dommages qu’on pouvait lui causer, et qu’il peut également se faire aussi qu’elle ait dit que cela se trouverait, entendant par là que la loi était juste et qu’elle lui procurerait la réparation do ces dommages.
D. — Si elle n’a pas dit que, sous peu, il y aurait une ou plutôt des guerres civiles.
R. — Que non.
D. — Si elle n’a pas dit que, si les troupes entraient en France, il faudrait beaucoup d’avoine, et que, pour cette raison, il en fallait semer beaucoup.
R. — Qu’elle n’a point dit que les troupes entreraient en France, mais qu'elle faisait semer de l’avoine, en ce que celte espèce de blé réussissait mieux dans la terre de Saint-Mary que d’autre blé, et que d’ailleurs ce blé se vendait toujours.
D. — Si elle n’a pas eu envie d’émigrer aussi.
R. — Que non; que, si elle en eût eu envie, elle serait partie.
D. — Si elle n’a pas été fâchée quelquefois de ne s’être pas émigrée.
R. — Que non.
D. — Si, lorsqu’on lui fit demander ses couvertes de lit, elle les donna de bon cœur.
R. — Que celles qui étaient à son mari, il lui était indifférent qu’on les prit on qu’on ne les prît pas, mais, quant à celles qui la couvraient et ses enfants, elle fut fâché de se les voir enlever, étant alors aux approches de l’hiver.
D. — Si, étant instruite que ces couvertes étaient destinées à couvrir les défenseurs de la patrie, pourquoi elle semblait les regretter, surtout se disant bonne citoyenne.
R. — Que, quant à celles qui la couvraient et scs enfants, le besoin lui faisait désirer de les garder, voyant qu’on lui en avait déjà enlevé quatorze.
D. — Si elle n’a pas dit qu’elle voulait tuer quelqu’un et de qui elle voulait parler.
R. — Qu’elle n’a point tenu ce propos; qu’elle n’a jamais eu cette intention; que, si elle a eu un désir, ç’à été de faire du bien et de l’exécuter. Qu’elle a fait différents dons à la patrie, selon ses facultés.
D. — Pourquoi elle n’avait pas déclaré la vraie quantité de ses grains.
R. — Que, faisant sa déclaration de grains, involontairement elle déclara moins do blé qu’elle n’en avait, n’en sachant pas la quantité, mais que, s’étant aperçue de l’irrégularité de sa déclaration, elle se transporta le lendemain matin à la municipalité pour faire de nouveau sa déclaration et rectifier celle qu’elle avait déjà faite. Lecture faite, ladite Maulmont a persisté et a signé au registre.
Maulmont.
Le comité arrête que ladite Maulmont, déjà en réclusion, sera, ainsi que l’expédition du présent et des pièces la concernant, renvoyée à l’administration du district dans les vingt-quatre heures, conformément à la loi.
Pour extrait conforme au registre : Machenau, vice-président; Dubois, secrétaire.
Arrêté du directoire de La Rochefoucauld
Liberté, Egalité, Fraternité
Extrait du registre du directoire du district de La Rochefoucauld
Séance du 25 floréal l'an II (14 mai 1794)
Vu copie des pièces de la procédure adressée à l’administration, le jour d’hier, par le comité révolutionnaire de surveillance.
1° Contre Joseph Brébiôn-Lahaye, médecin, au nombre de deux pièces.
2° Contre Jean Gellé, ex-curé de Ville-Joubert, au nombre de trois pièces.
3° Contre Valérie Marentin, femme de Pasquet-Saint-Projet, ci-devant garde du corps, émigré, au nombre de cinq pièces.
4° Contre Magdeleine-Elisabeth Maulmont, femme de Reynaud La Sourdière, émigré, ex-noble;
5° Contre Jean Bonnet-Rassat-Dulac, père et beau père d’émigrés, au nombre de deux pièces.
6° Contre Catherine Duplessis, ex-noble, au nombre de deux pièces.
7° Contre Marie-Rose Chamborant, veuve Duplessis, ex-noble; Ouï Albert, pour l’agent national.
L’administration arrête que les dénommés ci-dessus, seront conduits, demain 26, par deux gendarmes d’ordonnance et de brigade en brigade, au tribunal révolutionnaire de la Convention nationale, et les pièces de la procédure chargées à la poste, et adressées à l’accusateur public dudit tribunal révolutionnaire pour sur tout y être statué ce qu’il appartiendra. Il sera expédié une route aux détenus, laquelle sera remise aux mains des gendarmes de cette résidence, qui la transmettront à ceux de Mansle, ainsi que les détenus, et cela se succédera de brigade en brigade jusqu’au tribunal révolutionnaire, où les détenus seront remis aux mains de l'accusateur public qui en donnera décharge.
Hériard, Philippon-Jolly, administrateurs; Desaunières, président; Albert, pour l’agent national.
Ordre donné à la gendarmerie
Liberté, Egalité, Fraternité ou la Mort
Le citoyen Vinson, lieutenant de la gendarmerie, fera conduire après avoir extrait de la maison de réclusion les nommés : Rose Chamborant Duplessis, La Merlière, Maulmont, femme de l’émigré La Sourdière, ex-noble; Rassat- Dulacq, père et beau père d’émigrés; Valérie Marentin, femme de l'émigré Saint-Projet, ci-devant garde du corps; Brébion-Lahaye, médecin, et Gelé, ex-curé de Villejoubert; les fera conduire, demain 26 courant, par trois gendarmes d’ordonnance, à la brigade de Mansle, où il les remettra, en retirera décharge, et la brigade de Mansle les conduira à la plus prochaine, et de brigade en brigade, jusqu’au tribunal révolutionnaire de la Convention nationale, ii Paris, où les accusés seront remis, ainsi que ces présentes, ès mains de l’accusateur public dudit tribunal, qui en donnera décharge. Les gendarmes recevront l’étape et le logement; les détenus recevront six sols par lieue, et seront conduits sur une voiture à trois colliers.
La Rochefoucauld, séance publique du Directoire, le 25 floréal, l’an II de la République (14 mai 1794).
Philippon-Joly, Albert, Renard, Laroque.
(A Ruffec, un ordre identique est donné à la gendarmerie, le 27 floréal; la seule différence qu’il offre avec le précédent, c’est que l’indemnité de roule des détenus est de cinq sols, au lieu de six sols, par lieue. Il est signé : Pinoteau fils aîné, Rougier, J. Decaze, suppléant et secrétaire.
Suivent les certificats d’étape et de logement fournis dans les localités suivantes :
Floréal, 26. — Mansle.
— 27.—Ruffec.
28. — Poitiers.
— 29. — Châteauroux.
— 30. —
Prairial, 1. — Tours.
— 2. — Amboise.
— 3. — Blois.
— 4. — Beaugency.
— 5. — Orléans.
— 6. — Arthenay.
— 7. — Angeville et Elampes.
— 8. —
— 9. — Commune de l’Egalité.
A Paris, on fit subir à Mme de Lasoudière un interrogatoire insignifiant, que l’on va lire, et cet interrogatoire est tellement écourté, qu’il manifeste qu’on n’avait rien de nouveau à ajouter aux prétendues charges énumérées plus haut. Ces formalités étant remplies, le rôle de l’accusateur public allait commencer. L’acte d’accusation qu’il dresse et le jugement que prononce le tribunal sont les dernières pièces du dossier de Mme de La Soudière.
Interrogatoire devant le tribunal révolutionnaire
Cejourd’hui, 11 prairial de l’an II de la République (30 mai 1794), 1 heure de relevée, nous, Claude-Emmanuel Dobsent, juge au tribunal révolutionnaire, assisté de R. Josse, commis greffier, avons fait amener de la maison d’arrêt de la Conciergerie la prévenue.
D. — Ses noms, âge, profession, pays et demeure.
R. — Magdeleine-Elisabeth Maulmont, femme de La Soudière, âgée de 35 ans, née à Mâche, département de la Charente (3), ex-noble, demeurant à Saint-Mary, département de la Charente, district de La Rochefoucauld.
D. — Où est son mari, et s’il n’est pas émigré.
R. — Qu’elle, l’ignore; qu’elle a fait prononcer son divorce d’avec lui pour cause d’absence.
D. — Si depuis son émigration, elle n’a pas entretenu des correspondances avec lui.
R. — Qu’elle ne lui a jamais écrit; mais qu’elle a reçu une lettre de lui d’Aixe-la-Chapelle, il y a environ vingt mois.
D. — Si elle n’a pas dit, un jour, que son mari n’était pas aussi loin qu’on se l’imaginait.
R. — Que non.
D. — Si elle n’a pas dit qu’avant peu la guerre civile se manifesterait.
R. — Que non.
D. — Si elle n’a pas dit qu’elle désirait tuer quelqu’un, et l’avons sommé de déclarer la personne qu’elle voulait homicider.
R. — Que non.
D. — Si elle a fait choix d’un défenseur.
R. — Que non. Nous lui avons nommé le citoyen Chauveau. Lecture faite, a persisté et signé avec nous. Maulmont, Dobsent, .Iosse.
Jugement commun à Mme De Lasoudière et à M. Derassat
Extrait du jugement du 16 messidor (4 juillet 1794)
Vu, par le tribunal révolutionnaire, l’acte d’accusation porté par l’accusateur public.... 4° Contre Magdeleine-Elisabeth Mormont (sic) (4), femme de La Soudière, âgée de 35 ans, née à Mâche (Creuse), ex-noble, demeurant à Samarie (sic) (Charente);.... dont la teneur suit :
Antoine-Quentin Fouquier, accusateur public du Tribunal révolutionnaire expose :
Qu’en vertu de divers arrêtés; 4° Magdeleine-Elisabeth Mormont; 5° Bonnet de Rassat-Dulacq ont été conduits au tribunal révolutionnaire;
Qu’examen fait des pièces remises à l’accusateur public, il résulte que la femme Maulmont de La Soudière, dont le mari est au nombre des conspirateurs qui portent les armes contre leur patrie, partage ses principes et ses sentiments, et n’a cessé de déclarer être elle-même l’ennemi du peuple; elle ne cessait d’attaquer, par les discours les plus outrageants et les plus injurieux, la République et ses défenseurs. « Dans peu, disait-elle, nous aurons la guerre civile; mon mari, émigré, n’est pas si loin qu’on le pense. Ces volontaires qui partent par la frontière sont des cillins, des fainéants et des meurt-de-faim, qui n’avaient rien à faire chez eux. »
« C’est, bien malheureux ! disait en pleurant la femme Mormont — parce qu’on enlevait des couvertures de laine pour nos défenseurs de la patrie. Si j’avais su être aussi malheureuse, je me serais en allée. »
Qu’elle « voudrait tuer quelques patriotes (5) », propos qui excitaient l’indignation de tous les citoyens de la commune où elle demeurait...
D’après l’exposé ci-dessus, l’accusateur a dressé la présente accusation contre les susnommés, pour s’être déclarés les ennemis du peuple en provoquant, par des propos et des discours, l’avilissement de la représentation nationale et le rétablissement do la royauté.
En conséquence, l’accusateur public requiert.
Fait au cabinet de l’accusateur public, le 15 messidor, l’an II de la République (3 juillet 1794).
A. Q. Fouquier.
Vu la déclaration du juré de jugement faite individuellement et à haute voix, en l’audience publique du tribunal, portant que Magdeleine-Elisabeth Mormont, femme Lasoudière, et Bonnot de Rassat-Dulacq sont convaincus de s’être rendus les ennemis du peuple, et d’avoir conspiré contre la sûreté et la liberté en provoquant, par des discours, l’avilissement et lu dissolution de la représentation nationale et des autorités constituées et le rétablissement de la royauté.
Le tribunal, après avoir entendu l’accusateur public sur l’application de la loi, condamne à la peine de mort Magdeleine-Elisabeth Mormont, femme Lasoudière, et Bonnet de Rassat-Dulacq.
Déclare les biens des susnommés acquis à la République. Ordonne qu’à la diligence de l’accusateur public le présent jugement sera exécuté dans les vingt-quatre heures, sur la place de la Barrière-de-Vincennes.
Fait et prononcé le 16 messidor, l’an IIe de la République, en audience publique du tribunal, où siégeaient les citoyens Toussaint-Gabriel Scellier, vice- président; Antoine-Marie Maire, et François-Pierre Garnier-Launay, juges, qui ont signé le présent jugement, ainsi que le greffier.
Scellier, Maire, Garnier-Launay, Legris, commis greffier.
Chez Fouquier-Tinville, tout était mensonge et cruauté; tous ses réquisitoires sont de continuels appels au versement du sang innocent. Mais il parlait à un jury et à un tribunal dignes de le comprendre. Dans le cas présent, le verdict fut affirmatif sur tous les points, et un feu de file, comme disaient les révolutionnaires, renversa dans la mort, non seulement la malheureuse femme, mais encore tous ceux qu’avait expédiés le directoire de La Rochefoucauld par son arrêté du 26 floréal. Le jugement condamnant à mort Mme de Lasoudière, rendu le 16 messidor an 11 (4 juillet 1794), fut exécuté le même jour.
L'abbé Lecler
Notes :
1. Les victimes de la Terreur dans le département de la Charente, t. I, p. 14, et t. Il, p. 265.
2. Il est à croire que Madeleine-Elisabeth de Maulmont est née au château du Monteil, paroisse de Luporsac, on Marche, aujourd’hui dans le dé partement de la Creuse. Melchior de Maulmont de Saint-Vitte le était devenu propriétaire du château du Monteil en 1673 par son mariage avec Antoinette de Neuville, dame du Monteil. Pendant la Révolution, leur descendant Annet de Maulmont y vivait avec ses deux filles; et l’une d’elles Marie-Anne-Florentine de Maumont épousa, le 12 juin 1798 Annet-Jean-Baptiste de La Celle. Le château du Monteil fut un asile bien connu des proscrits et des prêtres réfractaires qui y trouvèrent toujours une généreuse hospitalité.
3. Mache est dit précédemment, et aussi dans le jugement que l’on va lire, du département de la Creuse. Mais il n’y a de commune de ce nom ni dans le département de la Creuse ni dans celui de la Charente.
4. Au lieu de Maulmont; le texte du jugement ci-après porte aussi Mormont.
5. S’il était nécessaire d’un témoignage matériel pour prouver les falsifications que Fouquier-Tinville faisait subir aux dépositions des témoins pour aggraver le sort des accusés, on le trouverait ici. Dans l’enquête de la municipalité de Saint-Mary, on voit que le citoyen dénonciateur spontané Charles Rondeau est venu déclarer que trois ans auparavant, ladite Maulmont avait dit qu'elle voulait tuer quelqu’un. Ce propos, tenu depuis trois ans, m’a paru si invraisemblable, si insignifiant même, que je n’ai pas voulu le relever. Mme Lasoudière, d’après cela, aurait dit qu’elle voulait tuer quelqu’un, mais n’avait pas dit qui. Le même propos fut relevé dans l’interrogatoire du tribunal révolutionnaire, et, malgré l’interpellation directe du juge, on ne put trouver à qui appliquer le mot. Par conséquent, cette accusation était nulle el même ridicule. Mais Fouquier-Tinville, avec l’odieuse perfidie mensongère qui était si bien dans ses habitudes, ajouta à la déposition; il accusa la malheureuse d’avoir voulu tuer un patriote, créant ainsi un mot, une idée qui n’avait pas existé : c’était afin de prouver que la malheureuse dame était contre-révolutionnaire, crime alors sans rémission.
Lors du procès, qui vengeant l’humanité, envoya Fouquier-Tinville à la mort, au mois de pluviôse an III, celui-ci prétendit et prouva en effet que c’était sur l’ordre du Comité de Salut public qu’avaient eu lieu tant de sanglantes exécutions; qu’il allait chaque jour au comité prendre ses ordres et ses inspirations. Mais si Billaud-Varennes, Collet, Robespierre, David, Carnot, avaient été plus scélérats que lui comme moteurs, il faut avouer que l’accusateur public s’était aussi assimilé la responsabilité à lui-même par son obéissance passive aux ordres criminels du comité et les développements qu’il y avait ajouté, par les interprétations qu’il avait données aux actes les plus innocents des accusés, par les mensonges dont il n’avait cessé de surcharger ses innombrables réquisitions.