Note sur le château de Ribérac

 La plupart des anciens châteaux du Périgord sont restés debout malgré les guerres, les incendies et les siècles; beaucoup sont intacts; quelques-uns, à demi-ruinés, offrent à l'archéologue l'attrait d'une restitution. Très peu ont complètement disparu.

Parmi ces derniers, – je veux dire ceux dont il ne reste aucune trace, – il fault compter celui de Ribérac, le vieux château des comtes d'Aydie. Possédée de lemps immémorial par ceux de la maison de Pons (1), la seigneurie et comté de Ribérac entra chez les d'Aydie par le mariage d'Anne de Pons avec Odet d'Aydie, chambellan du roi Louis XI, chevalier de son ordre et grand sénéchal de Carcassonne. Les d'Aydie ayant joué un rôle important dans l'histoire de notre province, il était permis de penser que le château de Ribérac, où résidèrent plusieurs des chefs de cette maison, de vait être, par sa construction, son mobilier, ses moyens de défense et toute son ordonnance, en rapport avec la situation de ses possesseurs. J'avais longtemps espéré en trouver un dessin, un plan, une description, et, rapprochant ce document d'un inventaire date de 1629 que le hasard me fit découvrir, il y a quelques années, pouvoir reconstituer en partie ces choses disparues à tel point que leur emplacement est à peine indiqué par quelques terrassements, quelques ressauts de terrain, aujourd'hui recouverts de gazon, cultivés, plantés. Encore un peu de temps et ces signes eux-mêmes ne se liront plus sur le sol nivelé.

Messire Armand d'Aydie, seigneur comte de Ribérac, vicomte d'Espeluche, seigneur de Montagrier, conseiller du roi en son Conseil d'Etat, armé capitaine de cinquante hommes d'armes de ses ordonnances, mestre de camp de dix compagnies françaises, maréchal de camp aux armées du roi... etc., testa le 10 juillet 1628, étant revenu « malade et indisposez de son corps du camp de devant La Rochelle. » Il mourut peu de temps après, et fut, selon son désir, « son diet corps inhumé aux monumentz des seigneur's ses prédécesseurs Destant es la chapelle fondée et dobtée par lesdits prédécesseurs en l'esglise du présent lieu (2). »

Il laissait trois fils : Jacques-Louis, l'ainé, François et Antoine (3).

Sa veuve, Marguerite de Foix, fit dresser l'inventaire de janvier 1629.

Réduit à lui-même, ce document manque d'intérêt, aussi n'en donnerai-je que quelques courts extraits, évitant cette aride nomenclature commune à tous les inventaires : description de chambres « avec leurs chaslits, tables et estra teaux, coffres bahuts fermant à clef, landiers, etc. » Je dois dire, du reste, qu'à Ribérac, comme en bien d'autres châteaux de cette époque et plus peut-être qu'ailleurs, on est frappé de l'extrême pauvreté du mobilier. A part la chambre de Marguerite de Foix et quelques pièces d'argenterie, tout indique un état fort voisin de la misère. Que deviennent, en présence de ces témoins indiscutables, les légendes qui nous représentent les châteaux des anciens temps comme autant de palais luxueusement meublés, aux remparts garnis d'artillerie et aux greniers regorgeant de richesses ?

La chambre de la comtesse d'Aydie, quoique fort modeste, est la seule où tous les objets ne soient pas « fort uzés et rompuz. » Au surplus en voici la description :

« Et della avons esté conduitz dans une chambre estant au bout de la dite salle, appelée la chambre de Madame, laquelle nous avons trouvé entierement tapissée de sarge boyre de Poitou toute neufve, plus troys chayses garnyes de mème garge, ung banc de la longueur de six pieds, large ung pied et demy, couvert de mesme sarge.

Plus six escabeaux se fermant et six cuyssintz (4) couvertz de » mesme sarge, plus ung grand chaslit neuf de menuyserie, les montantz couvertz de la mesme sarge, les courtines et housses (?) de la mesme garge, et autour du lit ung tapis de gros drap sur de la natte et tresse de pays sur lesquels on marche....

Plus une petite table avec ses estrateaux sur quatre piez faitz au » tour, la dicte table de la longueur de troys grands piez et largeur de deux petitz piez sur laquelle table y a ung tapis de mesme estoffe in que dessus noyre a quatre pantz,

Plus une payre de landiers de fert pezant trante livres.

Plus une couverte de mesme sarge noyre de la longueur de deux aulnes et largeur uno aulne et deny. »

Rien de bien luxueux, il me semble, dans la chambre de la châtelaine !

Trouverons-nous au moins à Ribérac, chez les d'Aydie, toujours occupés à guerroyer pour le roi et la religion, un arsenal bien garni, une formidable artillerie ?

« Et della passant par la galerye estant sur le portail à l'entrée de la bassecour avons trouvé six fauconneaux de métailh.

Plus ung fauconneau aussi de métailh.

Della sommes allés dans la chambre estant au dessus le portaut » estant à l'entrée du présent chasteau ès laquelle a esté trouvé vingt neuf canons de mousquetz sans futz. »

Si on y ajoute les armes du feu seigneur comte :

« Une espée ayant la garde argentée, la poignée de fil d'argent et son fourreau de cuir et un grand poignard de combat avec sa coquilhe et gorde noyre, plus une longue espée la garde noyre... »

On aura le total de cet appareil de guerre peu fait pour inspirer une grande terreur à la ville assise aux pieds du château, non plus que pour la protéger de façon efficace.

Reste l'argenterie :

« Plus troys douzaines et demys d'assietes dargent pozant vingt livres et deiny.

Plus quarante cing platz dargent la plus grand partye rompuz, huict culhieres, une neufyiesme rompue aussy dargent pezant le tout n avec les loppins rompuz dedits platz pezant soixante douze livres ung cart.

Plus troys salhiores, ung petit vaz a mettre vinaigre, troys eguières (?), troys platz bassins, le tout d'argent pezunt vingt livres.

Plus six flambeaux aussy dargent pozant dix livres le tout à poix de marc.

De laquelle sus dicte vesselle dargent medicte dame a dict avoir , faict apport de Montagrier au présent chasteau pour la.... de feu Monsieur, douze platz, douze assiettes, deux flambeaux, un bassin n et une salhière et deux culhières d'argent dont et de tout ce que dessus...etc. »

Et plus bas :

« Que lors de l'exibilion et représentation de la vesselle elle (Marguerite de Foix) a obmis par mesgarde d'exiber et représenter une in couppe dargent fin doré, deux rachaux, ung coquamard à faire tizane avec son couvercle et ung plaquard, le tout dargent qu'elle a presentement exibé et représenté... »

On trouvera sans aucun doute que c'était là un maigre tré sor pour les descendants de deux grandes muisons telles que les d'Aydie et de Foix, et on se demandera si les charges de la guerre avaient épuisé leurs ressources ou si les revenus de leurs terres étaient des plus médiocres. Cette dernière hypothèse paraîtrait justifiée par l'inventaire des greniers, où, au milieu de janvier, c'est-à-dire alors qu'il reste sept longs mois avant qu'ils se regarnissent, se trouvent seule ment des récoltes insuffisantes :

« Et della avons estés conduitz au grenier du dit chasteau dans lequel a esté trouvé quarante deux charges froment, nouf charges febves, dix charges bailharge, cinq boyseaux orge, dix huit boyseaux mesture de payz. »

Comme conclusion, il est permis de dire qu'à l'époque où nous le visitons, le château de Ribérac était fort pauvrement meublé, mal défendu et mal approvisionné.

Cet état n'était pas près de cesser, car un siècle plus tard, Odet d'Aydie laissait à son héritier Gabriel Chapt de Rastignac la charge de payer « ceux qui tenoient des billets de lui, n'ayant pu les acquitter jusqu'à présent à cause de ses grands embarras et affaires. »

En bornant là celle note déjà trop longue, je voudrais si gnaler aux amateurs d'autographes le curieux et symbolique monogramme dont la comtesse d'Aydie qui, à plusieurs reprises, au cours de l'inventaire, a signé de son nom de Marguerite, signe la dernière vacation. C'est un monogrammie original et gracieux et que nul ne pourrait confondre avec les savants et compliqués paraphes des sergents ou notaires royaux.

Xavier de Monteil.

bpt6k207106w_res1 Illustration : le château de Ribérac dessiné par Léo Drouyn en 1846.

Notes :

1. Requête adressée à d'Aguesseau par François d'Aydie.

2. Ribérac.

3. Ce dernier devint bénéficiaire de l'abbaye collégiale de St-Astier.

4. Coussins.

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