Mélanges sur Javerlhac

 1e extrait


Tony, le benjamin [des garçons Mousnier-Lompré], est resté à Javerlhac où commencent ses petites classes, ayant comme compagne de jeux, Laura Dolezon, sa cousine germaine, repliée à Javerlhac. Il poursuit à Nontron puis Angoulême et passe son bac à Poitiers en juillet 1870. Débutent alors ses pré-études de médecine, sanctionnées par le baccalauréat ès-sciences, obtenu à Bordeaux en février 1871. Tony, pas plus que ses frères, n'a pris les armes en 1870, bien que les Gardes Nationaux de Javerlhac soient mobilisés et que plusieurs Bataillons de Mobiles de la Dordogne aient été levés, qui se conduisirent fort bien à la bataille de Coulmiers. Notre apprenti docteur se trouvait pendant le conflit à Bordeaux, où il voit peut-être débarquer Victor Hugo dans toute sa gloire, mais il fait aussi quelques apparitions à Javerlhac, se trouvant paraît-il à Hautefaye, avec notre laveuse Francine Manem, le jour du martyre d'Alain de Moneïs. Enfin, Tony va à Paris, plus ou moins externe à l'Hôpital de Clamart, reçu docteur en médecine en mars 1876, quarante ans après son père.

En 1859, Aubin avait pensé que son jeune frère aurait dû s'orienter vers la Médecine de Marine, ce qui, disait-il, aurait fait économiser à la famille au moins douze mille francs, en frais d'études, mais cet avis ne fut pas suivi.

Les trois fils Lompré ont connu, pendant leurs études supérieures, des budgets moult serrés et mené une existence assez pauvrette. Leurs lettres de Bordeaux, Brest, Paris sont pleines de témoignages de reconnaissance - du même style que ceux de leurs père et oncle de Touvent un petit demi-siècle auparavant - pour les modestes mais indispensables sommes envoyées par leur mère ; vingt francs pour les étrennes de Tony en 1873, lequel fond de gratitude, sachant, comme il l'écrit " que la famille n'est pas en position de faire des largesses ".

Quand le même Tony est à Bordeaux, préparant son baccalauréat ès sciences, l'affectation des trois cents francs dont il est muni à son départ de Javerlhac, donne une idée du budget d'un jeune étudiant en novembre 1870 : -  Pension : F. 60, Habits : F. 100, Chapeau : F. 18, Inscrip­tions : F. 30, Gilet laine : F. 8, Lunettes (il était myope comme Aubin, mais pas daltonien) : F. 6, Voyage de Bordeaux : F. 20, Pantoufles : F. 4, 50, Blanchissage : F. 2, Bois de chauffage : F. 4, Bougies et savon : F. 3, 10 Distractions : F. 3, 25, Tête de Mort (pour ses études, bien sûr) : F. 12.

2e extrait

En 1876, alors que le brave Général Mac Mahon préside une Répu­blique renaissante, Tony rejoint sa mère, veuve depuis près de vingt ans et vivant seule avec son frère Numa dans le château endeuillé. Dès avril il commence à récupérer la clientèle paternelle sur Sylvain Bossoutrot, officier de santé je crois, qui s'était interposé entre père et fils Lompré. Le caractère violent de Tony - et que dire de celui d'Aubin ! - étant bien connu, il n'est pas surprenant d'avoir entendu raconter que Bossoutrot, un certain jour, se dissi­mula dans un placard plutôt que d'affronter son jeune confrère au chevet d'un malade indivis.

En fait, bon début pour Tony Lompré, à en juger par ses Livres qui pour l'année 1880 répertorient 929 prestations médicales, soit 2,7 actes par jour ; excellente moyenne pour un médecin de village d'un temps où on ne se soignait guère dans les campagnes, surtout les hommes ; d'ailleurs, huit sur dix des clients de 1880-1890 sont femmes ou enfants. Les actes médicaux comprennent petites opérations, pose d'appareils, accouchements, réductions de fractures, extractions dentaires. Le prix moyen de l'acte paraissant être de 6 francs, le montant des honoraires espérés pour 1880 peut être évalué à 5.600 francs et le prix de la journée d'ouvrier d'alors étant de deux francs on en pourrait con­clure que notre médecin débutant gagnait environ dix salaires annuels d'ouvrier, en s'escrimant, il est vrai, dimanches et fêtes, de jour comme de nuit. Dès 1885, les recettes, comprenant quelques revenus agricoles annexes - tel le quartier de porc vendu 60 F. à M. le Curé de Javerlhac - dépassaient 7.000 F. et dix ans après, le répertoire-clients contient plus de 1.500 noms. Les honoraires d'accouchements varient de 30 à 100 F., suivant la difficulté ou le temps passé, le prix des consultations est fixé à 2 F. 50, les visites 3 F. au bourg et jusqu'à 10 F. pour les hameaux ou fermes éloignés et même 100 F. quand il faut aller soigner un Roffignac à Ruffec où ces derniers ont maison de ville outre leur château de Bellevine à Feuillade. Ces émoluments, suivant une tradition honorable et chrétienne, semblent modulés sur la situation de fortune des malades ; mais, mais ceux-ci se libéraient sans ponctualité aucune, d'où de nombreux impayés mais d'où, aussi, le lièvre reçu à l'occasion et, avec les commerçants égrotants des compensations, en vin, charbon ou chose semblable.

Source : Mélanges sur Javerlhac, de Tony Pelpel.

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