Tours du XIIe siècle dans la région nontronnaise

 En 1199, Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine, en guerre contre le roi de France, Philippe Auguste, venait de conclure avec lui une trêve. Libre de disposer de son armée, il résolut de l'employer à châtier un vassal rebelle, le vicomte de Limoges, qui, dans la récente guerre, avait pris le parti de son adversaire. Il dirigea donc ses troupes contre plusieurs des forteresses que celui-ci possédait en Périgord et en Limousin, sur les frontières de sa vicomté. « Malte ville obsesse scilicet », disent les chroniques de Saint-Martial de Limoges.

« Nuntrum, Noalas, Chaluz-Chabrol, Autafort... Poï-Agut... », et ailleurs : « Ipse (Richard) intérim dum œgrotaret (il venait d'être blessé devant Chalus) prœceperat suis ut obsiderent caslellum vicecomitis quod appellat.ur Nuntrum, et quoddam aliud inunicipium quod appellatur Montagut (Piégut), quod effecerunt, sed morte régis audita, confuse recesserunt. »

Ce sont les constructions militaires de la région comprise entre Nontron et Chalus, qui sut résister aux attaques des routiers du souverain anglais, que nous examinerons dans cette étude, en laissant entièrement de côté celles d'une époque postérieure.

Nontron. — Par suite d'un regrettable état de choses, la ville de Nontron (Dordogne), point stratégique le plus important de la région, ne présente plus d'intérêt pour l'étude de l'architecture militaire. En effet, ses fortifications, pourtant très importantes, sont ou disparues ou complètement défigurées; sur le terre-plein triangulaire dominant le Bandiat où s'élevait la forteresse, on voit à présent une esplanade plantée d'arbres et une maison d'école. Quant à l'enceinte des fortifications, elle est difficile à suivre au milieu des transformations et des appropriations qu'une municipalité sans respect des souvenirs du passé y a apportées.

Par bonheur, M. le baron Jules de Verneilh nous a laissé un dessin et une description qui nous permettent d'affirmer que le donjon de la forteresse contre laquelle vint se briser l'effort des troupes anglaises était du même type que ceux dont il va être question plus loin. Comme l'a très bien fait observer M. le marquis de Fayolle, ce donjon était circulaire, de 9m50 de diamètre, et son entrée se trouvait à 6 mètres au-dessus du sol. Il paraît donc pouvoir, en raison de ces caractères, être rapproché de ceux du Bourdeix, de Piégut et de Châlus, que nous allons passer successivement en revue.

Mais nous signalerons auparavant une construction peu commune, particulièrement à l'époque qui nous occupe.

Nous voulons parler d'une tour à signaux qui était en quelque sorte un poste de grand'garde en avant du fort de Nontron.

Tour de la Jarrige. — Dans la commune de Saint-Martialde-Valette (Dordogne), à trois kilomètres au sud-ouest de Nontron, au sommet d'une colline qui domine presque tout le pays, est placé, en vedette, un monument connu sous le nom de Tour de la Jarrige, ou de la Jar risse et, dans le langage populaire, de Tour des Anglais. C'est, en effet, une tour carrée de 3m30 de coté à l'extérieur et pouvant mesurer de 7 à 8 mètres de hauteur dans son état actuel. Construite en pierre calcaire de la région bien appareillée, elle ne présente que quatre ouvertures : la porte et trois petites fenêtres. L'entrée, haute de 1m65. large de 0m67, est à 1m50 environ au-dessus du sol actuel; on ne peut y parvenir que par escalade, et, pratiquement, une échelle devait être nécessaire pour pénétrer à l'intérieur; elle est en plein cintre et se fermait à l'aide d'un madrier glissant dans un trou profond ménagé dans la muraille de gauche. Sur une longueur de 1m05, le couloir qui y aboutit est voûté en dalles plates juxtaposées sans maçonnerie, comme à Piégut, au Bourdeix et à Chalus-Chabrol. Au bout du couloir, six marches de 0m18 de hauteur conduisent cà une petite fenêtre dont l'archivolte cintrée est taillée dans une seule pierre, détails qui se retrouvent encore aux donjons déjà cités. Après la sixième marche, l'escalier tourne à angle droit; à partir de ce point il n'en subsiste que trois marches. Il n'y a pas d'autre vide entre les murailles que celui qui est nécessaire à leur emplacement. Au sommet de la tour, deux très petites baies, l'une carrée, au sud, l'autre arrondie au nord, sont appareillées en pierre calcaire différente du reste de la construction; le chanfrein qui les orne atteste qu'elles ont été ouvertes au XVe siècle : elles sont d'ailleurs visiblement relancées après coup, et leur dimension n'excède pas celle qui est nécessaire au passage d'un pigeon. On ne voit à l'extérieur de la tour, qui n'a pas de couverture, aucune trace de solin ni d'arrachement : elle a donc toujours été isolée; mais au-devant de la porte s'étend une fosse sèche, aujourd'hui remplie d'épaisses broussailles qui mesure vingt mètres environ de longueur, sur deux mètres de largeur, et près de trois mètres de profondeur; ses côtés nous ont paru maçonnés, au moins en pierres sèches.

Il ne nous semble pas douteux que nous ne nous trouvions en présence d'une de ces tours pour signaux à feu, si fréquentes- dans les vallées pyrénéennes; ses caractères architectoniques, identiques, sauf la nature des matériaux, à ceux des donjons de Piégut, du Bourdeix et de Clialux, nous permettent de la croire de même époque; son nom même, Tour des Anglais, tradition populaire survivante, n'en est-il pas, en quelque sorte, une confirmation ?

Un monument de ce type, mais d'époque postérieure, car nous ne croyons pas pouvoir le dater plus tôt que le XIVe siècle, subsiste eu Touraine, dominant les bords de la Loire : c'est la Lanterne de Hochecorbon, près de Vouvray. Elle est parfaitement conservée; son escalier, au lieu d'être à angles droits, est hélicoïdal; sa porte est en anse de panier; son sommet est couronné par des mâchicoulis; elle était, en outre, placée tout en haut d'une épaisse muraille qui formait l'enceinte d'un important château, et on y pénétrait par le chemin de ronde. Mais l'aspect général est le même : â deux cents ans de distance, le principe reste identique. Poste avancé à une lieue de Nontron, la tour de la Jarrige pouvait contenir un homme, deux au plus, guetteurs vigilants, qui, par des feux allumés sur sa plate-forme, avertissaient la forteresse, dont ils étaient les guetteurs, des dangers qu'elle pouvait courir.

Le Bourdeix.— Le donjon du Bourdeix (Dordogne), dont il subsiste, sans cloute, un peu moins de la moitié, est dans une situation infiniment moins forte que la plupart de ses congénères : il est, en effet, planté à l'extrémité d'un plateau se terminant par une pente que l'on peut supposer avoir été plus abrupte, mais qui ne le défendait que d'un seul côté.

Son diamètre extérieur est de 9m10, l'épaisseur de ses murs de 2m 75. ce qui laisse un vide circulaire de 3m60 de diamètre. La porte est. placée à 6 mètres du sol : on ne pouvait y parvenir qu'avec une échelle. La hauteur de ce qui reste est de 14 mètres et l'on peut admettre que cette tour, construite en granit soigneusement appareillé, atteignait 25 mètres environ. La porte, maintenue primitivement par une barre de bois glissant dans un trou réservé dans l'épaisseur de la construction, a 2m40 de haut sur 0m90 de large. Comme à Piégut, on trouve un conduit d'écoulement traversant la muraille de part en part, sous le sol de la porte. L'entrée est recouverte de dalles plates de granit, simplement juxtaposées, suivant la disposition adoptée à Piégut et à La Jarrige. L'étage inférieur, qui a 6m50 de hauteur sur un diamètre de 3m20, est, ainsi que tous les magasins du même genre, entièrement aveugle; il est voûté par une coupole reposant sur un boudin, et on y pénètre par un oculus de 0m60 de diamètre, encerclé degrosses pierres taillées; une feuillure indique qu'il s'obturait à l'aide d'un couvercle.

La partie supérieure, de 5 à 6 mètres de haut, n'a plus aucune espèce de couverture. On y remarque, à 4m20, un retrait régulier sur tout le pourtour qui semble indiquer le départ d'un second otage, sans doute en poutrage. Une seule fenêtre subsiste; son ébrasement est coudé de façon à mettre le défenseur complètement à l'abri des traits des assaillants; enfin, une petite armoire est ménagée dans l'épaisseur de la construction.

Le Brieudet. — A égale distance entre Nontron, le Bourdeix et Piégut s'élève une motte considérable par les dimensions de sa base aussi bien que par sa hauteur : c'est le Brieudet, commune de Saint-Estèphe (Dordogne).

Au sommet ne se voient plus, hélas ! que des ruines indéterminables, pierres sortant à peine de terre, qui ont pu aussi bien appartenir à un moulin à vent qu'à un donjon militaire. Cependant, au plus loin qu'on remonte dans les annales nontronnaises, le Brieudet paraît comme un lieu fortifié des plus importants. Il a souvent appartenu aux mêmes seigneurs que le Bourdeix et Piégut et se trouvait dans la mouvance de ce dernier. Il est mentionné dès la première moitié du XIIIe siècle comme château-fort et M. de Laugardière le suppose construit au XIIe siècle par la famille de Magnac. Nous serions très disposés à voir, dans cette motte, la base d'une tour analogue à celles du Bourdeix et surtout de Piégut, en raison de la similitude de sa situation stratégique. Ce donjon est d'ailleurs mentionné dans une donation, faite en 1421, de la châtellenie de Piégut, par le vicomte de Limoges à Antoine de la Goublaye : « Item est aussy vraye que le repaire de Brieudé est assis en la paroisse de Sainct-Estienne dict le Dros (aujourd'hui Saint-Estèphe), qui est dans les dittes fins et limites (de la châtellenie de Piégut) et a esté baillé par Monseigneur (le vicomte de Limoges), sauf et réservé à mon dict seigneur le donjon contre les tenanciers dudict Brieudé refusant le guet et payer droit de chemin. »

Piégut. — Il y a peu d'années encore, le haut du donjon de Piégut émergeait seul sur un mamelon couvert d'arbres, situé à l'ouest du bourg de Piégut-Pluviers (Dordogne). Grâce aux travaux qu'y a fait exécuter sous notre direction M. le marquis de Malet, membre de la Société française d'Archéologie et de la Société historique et archéologique du Périgord, propriétaire du lieu, l'aspect a totalement changé. La haute tour élancée se détache à présent au milieu des ruines importantes de constructions postérieures, la plupart des XVe et XVIe siècles, et dont à peine quelques pans de murs étaient précédemment visibles. On se rend mieux compte, à présent, de la force surprenante qu'un poste ainsi situé pouvait acquérir, étant donnée l'indigence des moyens d'attaque. Nous l'étudierons très en détail, car, l'ayant déblayé et envisagé sous tous ses aspects depuis quinze ans, nous le connaissons plus à fond que les autres monuments semblables de la région. D'ailleurs, il est, avec Châlus-Chabrol, le mieux conservé : il peut donc servir de type et permettre de compléter ceux qui le sont moins, mais qui présentent les mêmes particularités de construction.

Au sommet d'une motte naturelle fort élevée et abrupte par elle-même, composée d'un amas de ces énormes blocs de granit qui sont parsemés sur tout le sol des collines nontronnaises, les constructeurs du XIIe siècle avaient choisi un emplacement éminemment défendable. Une pointe de terre triangulaire, de petite étendue, aux pentes non moins abruptes que celles du mamelon, était bordée d'un côté, à l'ouest, par un étang, puis, au sud et à l'est, par un ancien marécage, aujourd'hui converti en prairies et en jardins arrosés par une source. Le seul point vulnérable était le côté nord, où le château tient à présent au village; une large et profonde coupure, faite de main d'homme, le mettait à l'abri des attaques.

Dans l'état actuel, une épaisse ceinture de murailles, flanquée de demi-tours, encercle la forteresse; mais ce sont des constructions du XVe siècle, élevées en même temps que la plupart des bâtiments d'habitation qui englobaient le donjon. La dureté et la couleur du granit, toujours semblable à lui-même, la similitude des mortiers, d'ailleurs détruits la plupart du temps, l'absence totale de moulures rendent excessivement difficile à dater de simples murs, vu la pénurie de tous documents. L'appareil, partout du même genre, n'est pas un point de repère dans cette obscure chronologie. Des constructions, que nous appellerons parasites, c'est-à-dire postérieures au XIIe siècle, nous ne dirons rien aujourd'hui, car elles sortent de notre cadre; mais nous nous appliquerons à étudier le donjon dans les plus minutieux détails.

La tour a une hauteur totale de 23m10 et un diamètre de 7 mètres. De son sommet on découvre tout le pays à une très grande distance; on voit même, dit-on, par temps clair, la cathédrale d'Angoulême. En tout cas, on devait apercevoir le haut du donjon de Nontron, sans doute aussi ceux du Brieudet, du Bourdeix et, au nord, celui de Champniers. Du sol, grossièrement dallé, au-dessus des consoles de mâchicoulis, on compte 19 m 20; de ce point au sommet de la coupole, 3m90. La tour, sans être complètement cylindrique, a peu de fruit à sa base. L'entrée se trouve à 4m40 au-dessus du sol; on ne peut y parvenir qu'à l'aide d'une échelle. La porte, en plein cintre, a 2m50 de hauteur sur 0m70 de large dans le bas, et 0m85 dans le haut; l'entrée traverse donc le mur, épais de 2 mètres, et aboutit dans une pièce circulaire. Ce passage est couvert en dalles plates de granit, grossièrement assemblées; elles sont caractéristiques des constructions militaires de cette époque et de cette région. Un trou profond, dans lequel glissait la barre de bois qui servait à assujettir la porte, se voit à gauche. Enfin, une sorte de caniveau d'écoulement, très étroit, s'aperçoit sous le sol du passage de la porte, avec une pente de dedans en dehors. La première pièce dans laquelle on entre est ronde, de 3m25 de diamètre, et de 3m95 de hauteur jusqu'à la naissance de la coupole sphérique qui la termine et de 5 m 45 jusqu'au sommet. Cette coupole repose sur un boudin en granit très soigneusement taillé. La salle est éclairée par une fenêtre, étroite à l'extérieur, dont l'archivolte est taillée dans une seule pierre; à l'intérieur, au contraire, l'ébrasement est relativement large, en pente ascendante vers le jour et garnie de gradins.

Au centre du sol du premier étage est un trou rond de 0m66 de diamètre qui permet, à l'aide d'une échelle ou d'une corde, de pénétrer dans le rez-de-chaussée. Cette seconde pièce est également cylindrique, de 2m90 de diamètre, voûtée en coupole, de 1m70 de hauteur jusqu'au boudin qui supporte cette coupole et d'une hauteur totale de 3m70; elle est complètement obscure; seul, un trou percé à travers la muraille, vers le sommet, donne quelque aération. C'était le magasin où s'entassaient les réserves en eau et en vivres. L'ouverture circulaire qui lui donne accès est formée de gros claveaux de 0m35 d'épaisseur : une feuillure permettait de la clore à l'aide d'un couvercle.

Si maintenant nous voulons passer aux étages supérieurs, il faut appliquer une échelle contre la muraille et gagner une porte percée dans la coupole, de manière à dominer, un peu en côté, la baie d'entrée. Cette porte n'a que 0m60 de large; elle s'ouvre sur un court escalier qui grimpant contre le rein de la coupole, parvient au second étage, où il devait déboucher par une sorte de trappe. Celle-ci soulevée, on se trouvait dans une nouvelle salle circulaire et non voûtée, éclairée par une fenêtre semblable à celle du premier étage; le plafond a disparu, sans doute depuis longtemps, mais les trous laissés dans le mur par les solives sont encore parfaitement visibles.

Le troisième étage est éclairé par deux assez larges baies, dont l'une, au moins, a été modifiée, sinon ouverte, au XVe siècle; il est voûté par une coupole polygonale en partie effondrée. On ne pouvait y parvenir également que par une échelle et en passant par une trappe au travers du plafond du second étage et du plancher du troisième. C'est au sommet de ce dernier étage que se trouvent encastrés les corbeaux des mâchicoulis dont les trois pierres soigneusement taillées, superposées et arrondies en quartde-cercle à leur extrémité, ont longtemps intrigué les archéologues locaux. Nous avons même vu, il y a quelques années, les pierres encore en place d'un des mâchicoulis que la chute de la foudre a fait, depuis, effondrer. M. le marquis de Fayolle, dans une séance de la Société historique et archéologique du Périgord, s'exprimait ainsi à leur sujet en 1894: « Tout porte à croire que le donjon de Piégut est du XIIe siècle, et cependant les mâchicoulis n'ont remplacé les hourds en bois que vers la fin du XIIIe siècle; il s'ensuit que le donjon devrait être rajeuni ou que les mâchicoulis de Piégut seraient antérieurs à ceux de Coucy, dont les consoles, seules, étaient en pierre ». Mais, avec sa perspicacité habituelle, il ajoute : « Un examen attentif permet de constater une différence sensible entre l'appareil de la partie supérieure de la tour et celui de la construction. Dans le haut, des moellons de faible dimension remplacent les gros blocs de granit employés partout ailleurs, et cette reprise existe au-dessous des mâchicoulis, sur le pourtour entier. La coupole supérieure, qui est percée d'une ouverture par laquelle on pénétrait sur le chemin de ronde, paraît également postérieure au reste. »

Nous avions pensé, d'après certains auteurs, que le donjon de Piégut ayant été pris par les troupes de Richard, et le haut de la tour démoli, les mâchicoulis avaient pu être ajoutés lors d'une restauration consécutive, ce qui les aurait encore classés parmi les plus anciens monuments de ce genre. Mais un examen plus attentif des textes nous a permis, à M. de Fayolle et à nous-même, d'établir que le donjon de Piégut n'avait pas été pris par les Anglais, qui, au contraire, en avaient levé le siège en apprenant la mort de leur roi devant Châlus. Nous serions très portés à croire qu'il n'y a pas lieu de vieillir beaucoup ces mâchicoulis et que, au XVe siècle ou à la fin du XIVe siècle, époque où Piégut cessa d'être un poste fortifié pour devenir un véritable château habitable, époque où s'élevèrent la plupart des constructions qui enveloppèrent le donjon, les seigneurs d'alors, La Goublaye ou Pompadour, surélevèrent la tour et la couronnèrent de mâchicoulis, d'après la coutume généralement suivie, surtout dans cette région : l'étage supérieur tout entier, avec ses grandes fenêtres, sa coupole si dissemblable des autres, son appareil réduit et ses mâchicoulis, ne serait donc pas très antérieur au XVe siècle.

Nous n'entrerons pas ici dans le détail des constructions postérieures au XIIe siècle, qui ne font pas partie de notre sujet, ni sur les fouilles que nous avons dirigées.

Champniers . — Tout contre le chevet de l'église de Champniers (Dordogne) se voit une habitation qui, à première vue, ne semble guère plus importante que ses voisines. Pour des raisons particulières, nous n'avons jamais pu, jusqu'à présent, y pénétrer, et nous avons dù nous contenter de la considérer de loin. Cependant, elle se distingue des autres par la présence d'une tour carrée de petites dimensions, mais dont les ouvertures ont le plus grand rapport avec celles des donjons dont nous avons entrepris l'étude : fenêtres étroites arrondies par le sommet; porte assez élevée au-dessus du sol, construction en moellons de oranit comme tous les édifices de la région. M. le baron Jules de Verneilh qui, plus heureux que nous, put le visiter, considérait cet édifice comme étant un donjon du XIIe siècle découronné. C'était, sans doute, un de ces nombreux petits postes militaires qui jalonnaient les marches de la vicomté de Limoges sur les confins du Périgord, et qui, avec d autres peut-être, aujourd'hui disparus, constituaient une ceinture fortifiée aux limites des deux pays. Bien que ce petit donjon n'affectât pas la forme ronde, nous avons pensé qu'il était utile de le signaler, regrettant de ne pouvoir en donner une description plus complète.

Montbrun. — Situé à peu près à moitié chemin entre Piégut et Châlus, le château de Montbrun, commune de Dournazac (Haute-Vienne), offre, au milieu de constructions plus anciennes et plus récentes, un donjon carré du XIIe siècle rappelant un peu les donjons normands; ses angles sont fortifiés par des contreforts plats, réunis au sommet par une double arcature. Des corbeaux d'un puissant relief supportent des mâchicoulis que leurs arcs en plein cintre permettent de reporter à une date voisine de sa construction. Il présenterait donc un des plus anciens exemples de mâchicoulis en pierres.

Il ne paraît pas avoir été voûté et l'un de ses étages est éclairé par une belle fenêtre géminée. Il n'est pas mentionné parmi les châteaux assiégés par Richard Cœur de Lion, sans doute, parce qu'il ne faisait pas partie de la vicomté de Limoges. Pourtant, un Brun (de Montbrun) était parmi les défenseurs de Châlus, lors du siège célèbre où le roi d'Angleterre perdit la vie.

Bien que, par sa forme, il ne rentre pas dans notre cadre, en raison de sa date, de son importance et de sa situation géographique, nous avons estimé qu'il y avait lieu de ne point le négliger entièrement.

Châlus-Chabrol. — Les Chroniques nous font connaître que Richard, roi d'Angleterre, fut blessé devant Châlus le 26 mars 1199 et qu'il mourut le 6 avril suivant, ce qui fit lever les sièges de cette dernière forteresse, ainsi que ceux de Nontron et de Piégut.

Châlus, chef-lieu de canton du département de la HauteVienne, possède deux donjons cylindriques, en apparence de la même époque, mais qui, à l'examen, révèlent des caractères architectoniques assez différents pour dénoter deux périodes distinctes. L'un est situé sur la hauteur, comme tous ceux que nous avons étudiés jusqu'à présent. L'autre, au contraire, est dans le fond de la vallée de la Tardoire. Le premier, certainement le plus ancien, a 9m50 de diamètre et 25 mètres de hauteur. « L'entrée en est fort élevée au-dessus du sol, écrit M. le marquis de Fayolle; l'intérieur se compose d'un rez-de-chaussée et de trois étages voûtés en coupoles et indépendants les uns des autres. La communication entre le premier et le second étage se fait comme à Piégut, avec la différence que l'ouverture pratiquée dans le mur, à laquelle il faut parvenir avec une échelle, ne forme pas assommoir sur la porte d'entrée et se trouve à mi-hauteur entre le dallage et la voûte. Un escalier établi dans l'intérieur de la muraille conduit de cette ouverture au second étage. La défense de la porte d'entrée, intérieure à Piégut, est extérieure à Châlus; une fenêtre, semblable à la porte, s'ouvre au second étage, exactement audessus d'elle et permet d'écraser les assaillants qui auraient cherché à la forcer. La similitude du donjon de Châlus, ajoute M. de Fayolle, avec ceux de Piégut, du Bourdeix et de Nontron sans doute, puisqu'il avait les mêmes dimensions, est complète, et on ne saurait douter qu'ils appartiennent au XIIe siècle. »

Notons, en outre, que le donjon de Châlus-Chabrol est construit, comme celui de Piégut, en moellons de granit assez grossièrement travaillés, dont les vides sont comblés avec des pierres plus petites. Les piédroits de la porte et de la fenêtre sont seuls en pierres de taille. Les claveaux de la porte forment un arc brisé et sont d'une certaine épaisseur tandis que ceux de la grande fenêtre qui la surplombe sont beaucoup plus minces et rappellent ceux d'Allassac, dont nous parlerons plus loin. Une autre grande fenêtre est percée à la même hauteur; son linteau, géminé, est surmonté d'une pierre en demi-cercle destinée à remplir le vide produit sous un arc de décharge composé de minces claveaux de schiste, qui le surmonte. Enfin, de très étroites et courtes meurtrières s'aperçoivent de loin en loin, traversant la maçonnerie. Le haut de la tour laisse voir quelques corbeaux de mâchicoulis et la coupole supérieure à demi démolie, avec son intéressant appareil de petites pierres concentriques.

Nous ne quitterons pas le donjon de Châlus-Chabrol sans mentionner les ruines de l'élégante petite église du XIIe siècle qui s'élèvent non loin de la tour; les chapiteaux, élégamment fouillés, donnent une haute idée de l'élégance de ce monument, qui devait servir de chapelle au château haut.

Quant au donjon du bas. dit Châlus-Maulmont, dont les caractères sont beaucoup plus avancés, M. de Fayolle, à la suite de M. Félix de Yerneilh, n'hésite pas à l'attribuer au XIIIe siècle, et nous partageons pleinement cet avis. Il n'est déjà plus isolé, et un bâtiment faisant corps avec lui est éclairé par une grande baie géminée surmontée d'un oculus. L'appareil est beaucoup plus soigné; le donjon luimême a des ouvertures sensiblement plus grandes qu'elles ne devaient l'être au XIIe siècle. Les différents étages sont reliés entre eux par un escalier ménagé à l'intérieur de la muraille. Les salles, au lieu d'être circulaires, sont octogonales, et, s'il est vrai que la porte d'entrée soit encore au premier étage, le rez-de-chaussée en possède également une au ras du sol; on peut donc y pénétrer normalement au lieu d'y entrer par la voûte. Tout dénote une construction postérieure à celle du donjon du haut, ce qui a permis à M. de Fayolle d'établir d'une façon irréfutable que Richard Cœur de Lion fut tué devant cette dernière tour, contrairement à l'opinion générale.

Allassac. — M. le marquis de Fayolle a bien voulu nous signaler, à Allassac (Corrèze), une tour qui présenterait, avec celles de Piégut et de Châlus-Chabrol, de notables points de ressemblance. Elle est construite en schiste, sur un plan circulaire, couronnée de mâchicoulis, et semble avoir été toujours isolée. On aperçoit dans le haut une ouverture assez grande qui présente cette particularité que ses piédroits sont formés de pierres de taille assez grosses, probablement en granit, tandis que le cintre de l'arc se compose de minces pierres schisteuses, détail qui se retrouve à la grande fenêtre de Châlus-Chabrol, surplombant la porte. Immédiatement au-dessus, on voit une ceinture de trous carrés évidemment destinés à recevoir les pièces de bois d'un solivage... ou d'un hourdage.

Nous venons de passer en revue un certain nombre de tours présentant un grand nombre de caractères communs : situation isolée; forme cylindrique; porte en plein cintre percée très haut (de 4 à 6 mètres); fermeture à l'aide d'un madrier rentrant dans l'épaisseur de la muraille et servant à consolider le battant; entrée recouverte de dalles juxtaposées; étage inférieur aveugle, servant de magasin, voûté par une coupole qui repose sur un boudin et qui est percée au centre d'un œil d'environ 0m60 d'ouverture; autres étages fréquemment voûtés en coupoles, indépendants les uns des autres, non reliés par des escaliers, et dont la communication ne pouvait être assurée qu'à l'aide d'échelles. Or, nous savons que plusieurs d'entre eux ont été assiégés en 1199; ils existaient donc auparavant, c'est-à-dire dans la seconde moitié du XIIe siècle. La communauté des caractères architectoniques permet de dater également ceux qui ne sont pas mentionnés comme ayant subi un siège, ce qui est un point intéressant.

La situation isolée de toutes ces tours, leurs faibles dimensions qui ne permettaient pas une garnison bien considérable, car on sait que trente-huit personnes, hommes et femmes, étaient enfermées dans le donjon de Châlus lors du siège, leur assez longue résistance, néanmoins, nous a fait penser qu'elles pouvaient être protégées par des ouvrages en bois, estacades de madriers et haies de branchages entrelacés (plessis), excellents pour protéger des armes de jet, tant que les assaillants étaient tenus à distance, mais complètement insuffisants, car ils étaient faciles à incendier, dès que l'ennemi avait réussi l'escalade. Dès lors, les défenseurs n'avaient qu'à se retirer dans le donjon où ils pouvaient tenir aussi longtemps qu'ils avaient des vivres et de l'eau; par la dureté du granit ou du schiste qui avait servi à sa construction, il défiait la sape et l'incendie; l'escalade était rendue fort périlleuse en raison de l'élévation de l'entrée, qu'un seul homme pouvait défendre à lui seul; la faible portée des armes de jet et l'étroitesse des meurtrières mettaient les assiégés complètement à l'abri des coups des assaillants. Pour peu qu'à ces défenses s'ajoutassent des difficultés naturelles, telles que marais, rivière, motte artificielle ou naturelle, le donjon du XIIe siècle, dans la région nontronnaise, devenait virtuellement inexpugnable et sa garnison ne pouvait être réduite que par la famine.

Il nous a paru intéressant de faire connaître ces monuments d'une époque où la France d'aujourd'hui commençait à peine à se former, dans une région bien délaissée jusqu'à présent des archéologues et qui mériterait pourtant d'être mieux étudiée.

Source : Tours du XIIe siècle dans la région nontronnaise, de Charles de Beaumont.

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