La garde-robe d'un seigneur angoumoisin au XVIIIe siècle

Le glas résonnait au clocher de l'église de Saint-Ciers-sur-Bonnieure, ce 8 octobre 1766. Mais déjà, de Vilars au Chenêt et du Breuil à Esnord, chaque manant de la paroisse connaissait la nouvelle : Messire Jean-Jacques de Salomon venait de mourir en son logis.

Pourtant elle avait fait de son mieux, Françoise de la Cour, elle n'avait rien négligé et surtout pas lésiné pour soigner son époux dont la santé, à trente-sept ans seulement, donnait les plus vives inquiétudes.

Monsieur Valier, docteur en médecine, le sieur Sirier, chirurgien à Angoulême ainsi que Fayoux, son associé s'étaient succédés au chevet du malade appliquant des « traitements » et ordonnant des « médicaments » malheureusement aussi inefficaces que ceux du sieur Moreau, chirurgien à Saint-Angeau à qui l'on devait encore la somme de 111 livres 13 sols.

Avec six enfants mineurs à élever (dont l'aîné n'avait que onze ans) et bientôt sept, lorsque celui qu'elle portait naîtrait au printemps prochain, Françoise de la Cour n'avait pas le droit de se laisser aller à son chagrin.

Aussi moins d'un mois plus tard réunissait-elle un conseil de famille et convoquait-elle à Saint-Ciers le sieur Quillard, notaire, afin de faire dresser l'inventaire détaillé des biens appartenant à la communauté, dans le souci « d'éviter tous les reproches qui pourraient lui être faits ».

Heureusement elle n'était pas dans le besoin. Du grandpère, négociant en vins à Rochefort, Jean-Jacques de Salomon avait gardé le sens des affaires ainsi qu'une confortable aisance. De son père, Jacques de Salomon, écuyer, conseiller secrétaire du Roy près la Cour du Parlement de Bordeaux, il tenait la seigneurie du Chastenet en Saint-Amant-de-Bonnieure, dans laquelle il avait placé un fermier efficace, et la seigneurie de Saint-Ciers dont il occupait le logis près de l'église paroissiale.

Pendant trois semaines, d'environ 8 heures du matin à midi et de 2 heures de l'après-midi à la nuit tombante, le notaire inventoria les meubles et les objets, la vaisselle et les outils, le linge et les papiers.

Au total, c'est à la somme de 14.522 livres 18 sols et 7 deniers qu'il évalua la succession.

Les vêtements du « feu seigneur de Saint-Ciers » furent aussi estimés à l'exception de certains — plus faciles à transformer sans doute — gardés pour l'usage des mineurs.

Ainsi nous apprenons quelle pouvait être la garde-robe d'un gentilhomme angoumoisin qui, bien que d'une famille fraîchement anoblie n'en portait pas moins des armoiries « d'argent à une bande d'azur chargée de trois étoiles d'or accompagnée de six torteaux de gueules posés en orle, trois en chef et trois en pointe ».

Les vêtements de Jean-Jacques de Salomon étaient pour la plupart rangés dans les meubles de la grande salle du logis. Ainsi, dans « un armoire à deux battants et un tiroir dans le bas, de bois de noyer presque neuf et fermant de clef » étaient empilées pas moins de cent trente deux chemises de différentes toiles, « la majeure partie usées, les autres assez bonnes ».

Il ne faut pas s'étonner de trouver cette armoire lingère dans la grande salle puisque là était le lit du seigneur (bois de lit à la duchesse avec literie confortable, garni de rideaux de ras vert et taffetas ornés de rubans jaunes, estimé 200 livres).

Lit et armoire ne représentant qu'une partie du mobilier de la pièce, lequel se composait également de huit fauteuils et de dix-sept chaises, de quatre tables et d'un guéridon, d'une autre grande armoire en noyer et d'une commode en bois d'ébène dont les trois tiroirs regorgeaient de vêtements.

M. de Salomon, en effet possédait dix habits, dix-huit culottes et vingt-quatre vestes de différents tissus et de valeurs fort variables. Les trois plus belles de ces vestes sont estimées 30 livres chacune malgré une usure évidente.

La première : en satin couleur de feu « galonnée à la Bourgogne d'un galon d'or brillanté large de trois doigts, ayant les derrières et les manches de callemande ».

Fragment d'un tableau de Boily, 1787 : « La famille Gohin ».

(Musée des Arts Décoratifs. Paris.)

La seconde : avec des devants en écarlate brodés d'or.

Et la troisième, toute de velours cramoisi doublée d'une peluche de même couleur.

Aussi raffinées sont les vestes de soie : l'une verte galonnée d'or et doublée d'une peau jaune, une autre brodée de fleurs d'or, la troisième aux devants de péruvienne doublée d'une sergette de soie et les deux dernières en droguet de soie dont une « hors service parce que toute percée ».

Cinq autres vestes de drap chamois, or ou noir, doublées de ras blanc paraissent plus rustiques.

Une veste de flanelle fort usée, une de velours dont les galons ont été décousus, une de ratine d'Angleterre pourpre, une de lainage rayé d'Agen, deux d'écarlate, deux de basin doublées d'une toile de brin blanchie, une de « bergopsom » fort usée et deux de camelot dont l'une est du même gris que l'habit qu'elle accompagne, viennent compléter cette garderobe aux couleurs chatoyantes.

Les mêmes tissus se retrouvent dans les habits qui sont de soie, de « bergopsom », de camelot, de ratine, mais surtout de drap garni parfois de parements et collets en peluche.

Les culottes sont serrées au-dessus du genou par un ruban ou une agrafe. Parfois assorties à la veste et de couleur vive (rouge ou verte), elles sont plus souvent noires mais toujours doublées de peau jaune excepté deux doublées de toile de coton. Les boutons en font la garniture : bouton de jais, de poil, de soie ou d'or, assortis à la jarretière.

Et à la taille, ceintures de soie noire ou ceinturons — de soie également — dont l'un est couleur de feu et l'autre jaune citron.

M. de Salomon possédait aussi dans ses armoires deux douzaines de mouchoirs de poche assez bons, quatre bonnets de coton et quatre robes de chambre : une en « gros de Tours » doublée de toile grise, une de siamoise brodée et deux de flanelle fort usée.

Les neuf paires de bas de soie noire bien qu'usés et troués seront estimées 4 livres, mais les trois gilets de basin sans manches, les jarretières de laine rouge et la « mauvaise paire de canessons d'espagnolette » gardés pour l'usage des enfants mineurs.

Peu valeureuses semblent être les chaussures du seigneur puisqu'on note une paire de bottes molles tellement usées qu'elles valent tout juste 30 sols, deux paires de gros et vieux souliers, deux paires d'escarpins de veau ciré, quatre « socqs » de peau blanche et trois paires de « chossettes » de cuir jaune jugées de maigre valeur par le notaire. Seules sont appréciées les bottes récemment remontées estimées à 4 livres.

Peut-être les jours de fête, le seigneur de Saint-Ciers remplaçait-il les boucles noires de ses chaussures et celles de ses jarretières par les boucles d'argent à brillants évaluées trente livres et soigneusement gardées dans le tiroir d'une table en bois d'ébène.

En même temps il devait porter son chapeau presque neuf « mi-castor » orné d'un bouton de poil et d'un cordon de soie et choisir sa meilleure paire de gants blancs, ses autres chapeaux bordés d'or — mais en mauvais état — ainsi que ses autres gants restant rangés dans la grande armoire. Et ce jour-là probablement ceignait-il la plus valeureuse de ses deux épées, celle à la poignée d'argent mastiquée d'or.

Rien ne nous dit si M. de Salomon portait perruque ; peut-être la lui a-t-on laissée lors de sa toilette funèbre, il ne reste dans les armoires que deux mauvaises bourses à cheveux.

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Avec les vêtements du seigneur ou dans les armoires voisines étaient rangées les robes et les jupes de la dame Françoise de la Cour ainsi que ses bijoux et de nombreuses coiffures. Mais ceux-ci, comme les « hardes des mineurs » n'ont point été inventoriés.

Le linge de maison par contre fait l'objet d'une estimation : les linceux de brin de lin ou de chanvre, au nombre de 48, valent de 3 à 5 livres le drap de six aunes tandis que 21 linceux d'étoupe, de quatre aunes seulement sont réservés aux domestiques. Pour les usages quotidiens on trouve deux douzaines de torchons de cuisine, 34 douzaines de serviettes tant de toile d'étoupe que de toile de lin et 46 nappes dont certaines sont de gros brin, de réparonne et d'autres de toile fine ourlée et ouvrée.

Tout ce linge de maison, qu'il soit de chanvre ou de lin est sans aucun doute d'origine locale, filé et tissé sur place comme les textiles utilisés par les paysans.

Ce qui fait l'originalité de la garde-robe du seigneur, ce sont bien les fibres nobles comme la soie, l'éclat des coloris, la richesse des galons et broderies, les passementeries aux fils d'or, les boucles d'argent à brillants. et par les chemins de Saint-Ciers on devait de loin reconnaître notre gentilhomme tant à sa silhouette qu'à l'éclat de son costume.

Références : Arch. Dép. Chte 2 E 12453 ; Arch. privées des descendants de J.-J. de Salomon ; « Histoire de St-Ciers » de M. Reible (non publié).

Glossaire des noms de tissus cités

Basin : Etoffe croisée à chaîne de lin et trame de coton.
Bergopsom : Peut-être de Berg-op-Zoom, ville des Pays-Bas.
Callemande : ?
Ecarlate : Tissu d'un rouge éclatant obtenu par un colorant tiré de la cochenille.
Flanelle : Tissu de laine peignée ou cardée, peu serré, doux et pelucheux.
Lainage rayé d'Agen : Probablement une serge.
Peluche : Genre de velours à poils longs.
Péruvienne : Etoffe du Pérou (lainage sergé ?).
Ratine d'Angleterre : Drap croisé au poil tiré en dehors et frisé.
Réparonne : Tissu de chanvre utilisant la fibre de 2° qualité (la lrc servant à faire le « brin »).
Satin : Serge mince et légère.
Taffetas : Tissu de soie mince façon toile.
Velours : Etoffe de coton, soie, laine, etc., dont l'endroit offre un poil court et serré et dont l'envers est ras.

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Pour les autres termes consulter le glossaire de l'article de Pierre Boulanger, Tome XII, lre livr., pp. 34-35.

Source : La garde-robe d'un seigneur angoumoisin au XVIIIe siècle, de Michel Renaud.

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