Lettre de Bennigsen à l'Empereur de Russie
Traduction d'une lettre du Général Benningsen à l'Empereur de Russie, il s'agit ici d'un rapport détaillé de la bataille d'Eylau, qui se déroula quatre mois avant celle d'Heilsberg.
« Konigsberg, 25 Mars, 1807.
Le 6 Février, je partis de Landsberg, avec mon armée qui, en raison de plusieurs détachements que j'avais faits, n'était forte que de soixante-dix mille hommes. L'armée française, composée des cinq corps des maréchaux Augereau, Soult, Murat, Davoust et Ney, qui furent joints, dans la soirée par Bernadotte, était forte de quatre-vingt-dix mille hommes; elle me suivit de près, et attaqua sans relâche mon arriere-garde, composée des brigades des généraux Marcoff, Bagawoust, et Barclay de Tolly, sous les ordres du prince Bagration.
Lorsque j'arrivai à Preussisch-Eylau, je fis prendre à mon armée une position à peu de distance derriere la ville, et donnai ordre à l'arriere-garde de se maintenir dans le poste qui lui avait été assigné, afin de protéger la marche de ma grosse artillerie à laquelle j'avais été obligé de faire faire un détour considérable, en partie, pour éviter des routes presqu'impraticables, et en partie pour faciliter la marche de mes colonnes. En même temps, je fis occuper la ville de Preussisch-Eylau par le Général Barclay de Tolly, et je détachai quelques régiments de la huilieine di, vision pour soutenir l'arriere-garde. Ce renfort mit le Général Marcoff en état de prendre une forte position, et d'élever une batterie. L'ennemi ne tarda pas à suivre le Général Marcoff, envoya ses troupes légeres en avant, et marcha en trois fortes colonnes contre les hauteurs occupées par le Général Marcoff. Ce Général envoya ces tirailleurs au-devant de l'ennemi, et commença une canonnade à mitrailles sur les colonnes; mais, comme elles continuerent à s'avancer, les régiments de Pskoff et de Sophie chargerent l'ennemi à la baïonnette, et disperserent une des colonnes. La seconde fut culbutée par le régiment des dragons de St. Pétersbourg, et presqu'anéantie; et la troisieme fut détruite par le feu de notre artillerie, commandée par le brave Colonel Jermaloff. L'ennemi commença alors à canonner notre ligne, et à marcher contre elle en quatre colonnes, tandis qu'une cinquieme colonne dirigea sa marche contre notre aile gauche, dans le dessein de la prendre en flanc. Les régiments de Pskoff et de Sophie étant trop faibles pour résister à cette charge, ils reçurent ordre de se replier, et le 21e de chasseurs, soutenus par le régiment des cuirassiers de la garde, les régiments de dragons de Kargopol et d'Ingermanland, et les hussards d'Elisabethgrod, eurent ordre d'attaquer. Les quatre régiments de cavalerie chargèrent la cavalerie ennemie qui allait prendre en flanc notre aile droite, et tuèrent beaucoup de monde à l'ennemi. Les batteries de la huitième division empêcherent l'ennemi d'approcher sur notre aile gauche; et le régiment de hussards d'Isum chargea l'enpemi, de ce côté, avec un grand succès.
Quoique battu sur tous les points, l'ennemi recevant des renforts de tous côtés, menaçait de couper nos troupes les plus avancées; en conséquence, je leur ordonnai de se retirer. Elles se retirèrent sur-le-champ, ainsi que la huitieme division, par Preussisch-Eylau; toute l'arrière-garde prit la même route, et rejoignit le corps d’armée qui était rangé dans l'ordre de bataille suivant :
Les 5e, 7e, 8e, 3e et 2e divisions formaient deux corps, dont le second était disposé en une seule colonne; la 4e et la 14e division composaient la réserve. L'aile droite était commandée par le Lieutenant-Général Toutschkoff; le centre, par le Lieutenant-Général Baron Sackens; l'aile gauche, par le Lieutenant-Général Comte Ostermann; et toute l'avant-garde, par le Prince Bagrathion. Toute la cavalerie, sous les ordres du Lieutenant-Général Prince Galitzin, couvrait les deux ailes, quoiqu'il y en eût une partie dans la ligne. Les hauteurs, situées en avant de mon front, étaient occupées par nos batteries. Le Général Barclay de Tolly, et l'artillerie à cheval du Colonel Jermaloff qui avait couvert la retraite de l'arriere-garde, était encore à Preussisch-Eylau; mais l'ennemi marcha contre la ville avec des forces si considérables, que le Général Barclay, quoiqu'il ait fait des prodiges de valeur, fut obligé de céder au nombre et de se retirer. Aussitôt que je m'en aperçus, j'envoyai la 4e division pour l'appuyer : elle marcha en trois colonnes, renversa tout ce qui voulut lui résister, et reprit la ville d'assaut. L'ennemi perdit considérablement de monde dans cette attaque, quoiqu'il eût placé des canons dans les rues, et qu'il tirât sur nous des fenêtres. Le Général Barclay fut blessé sévèrement au bras.
Lorsqu'à l'approche de la nuit, le feu de l'ennemi eut entierement cessé, je retirai toutes les troupes de la ville, dans le dessein de réunir toutes mes forces de l'autre côté, et de tout préparer pour une attaque générale, le lendemain; et, afin de n'être point exposé à une alerte de nuit, je plaçai la 4e division, que je renforçai du régiment d'Archangel, entre la ville et l'armée, tandis que le corps détaché du Général Barclay se tint très-près de l'aile gauche du Général Bagavoust.
Le 8 Février, à cinq heures du matin, je formai deux colonnes au milieu de ma position, et en donnai le commandement au Lieutenant-Général Doctoroff; je plaçai la troisième colonne, composée de la division du Général Conte Kaminskoi, à mon aile gauche. La brigade du Général Marcoff remplissait le vide qu'il y avait dans ma ligne, par la disposition en colonnes de la 7e division.
Au point du jour, l'ennemi traversa la ville, et j'envoyai à sa rencontre quelques régiments de chasseurs. J'aperçus, en même temps, plusieurs colonnes Françaises entre la ville et la hauteur qui est à la droite, et sur laquelle l'ennemi avait des batteries, qui, ainsi que les colonnes, menaçaient mon centre. Je fis sur-le-champ diriger le feu de nos batteries contre l'artillerie ennemie et sur les troupes qui défilaient de la ville, ce qui obligea les colonnes Françaises de s'arrêter.
D'un autre côté, la cavalerie Française, qui avait attaqué le Général Toutschkoff sur sa droite, fut obligée de se retirer par l'effet du feu de l'artillerie du Comte Sievers. L'ennemi s'efforça de prendre un village situé en avant de notre aile droite, et semblait menacer notre flanc droit avec des forces considérables; mais je réussis à le déloger promptement du village contre lequel j'envoyai le 24e régiinent de chasseurs et quelques autres tirailleurs. Dans les entrefaites, nous vîmes plusieurs colonnes des gardes Françaises qui traversaient Preussich-Eylau, et qui allaient attaquer mon aile droite et mon centre. Le Général Toutschkoff fit, sur-le-champ, avancer le Major-Général de Fock avec sa brigade qui, soutenue par deox régiments de dragons, chargea l'ennemi à la baïonnette, le chassa devant elle, et lui tua beaucoup de monde. L'ennemi se retira eix désordre, laissant derriere lui huit pieces de canon. Le Général Zapolsky qui, par ordre du Général Doctoroff, s'étendit avec une des colonnes de réserve qui étaient placées derriere le centre, reçut l'ennemi avec un feu de mousquetterie bien dirigé qui le força à se retirer, et, sans lui donner le temps de se rallier, le Général Zapolsky les chargea à la baïonnette, les culbuta, prit une aigle, et 130 hommes, Dans le même temps, plusieurs-escadrons de cavalerie Française, soutenas par de l'infanterie, s'avancerent sur la gauche de notre centre, et eurent la témérité de passer dans un interstice de notre avant-garde; mais ils furent attaqués par les Cosaques et quelque cavalerie avec une telle impétuosité qu'ils furent taillés en pièces et qu'il n'en échappa que dix-huit hommes. L'infanterie qui soutenait ces escadrons fut repoussée par le régiment des grenadiers de Moscow, sous le Prince Charles de Mecklenbourg Schwerin, et le régiment d'infanterie de Slusselbourg, que le Général d'Essen avait détachés à cet effet. L'infanterie ennemie se retira vers les colonnes qu'elle rejoignit, mais qui furent repoussées par notre Général Zapolsky.
Dans ce moment, cette colonne renforcée par deux autres colonnes de cavalerie Française, renouvela l'attaque, mais fut repoussée par les Généraux Somoff et Zapolsky, deux régiments de cavalerie qui avaient été postés derriere notre front, et qui tomberent alors sur l'ennemi avec une grande impétuosité. Le Comte O'Rourke, avec trois escadrons des hussards de Pawlogrod, torba sur la colonne pendant sa retraite, et la poursuivit jusqu'à ce qu'elle fût sous la protection du canon enneini. Les régiments de St. Pétersbourg, dragons, et de Wladimir, infanterie, prirent deux aigles. Dans sa retraite, l'ennemi abandonna vingt pièces de canon. Les tirailleurs du Général Sacken firent manquer l'attaque que l'ennemi fit sur notre aile droite. Le Général Bagavoust qui occupait la village de Serpallen avec un détachement de l'avant-garde, fut attaqué, au point du jour; il se défendit avec ses tirailleurs seulement; mais la manouvre de l'ennemi indiquant l'intention de faire le tour du village, le Général Kochowsky, avec son régiment de ulhans Lithuaniens, et le régiment de cuirassiers de la petite Russie, marcha sur l'ennemi et le força à se retirer dans le plus grand désordre, et à se jeter dans un bois. Les mêmes régiments tomberent sur d'autres colonnes d'infanterie Française qui s'avançaient, appuyées par de la cavalerie, sur notre centre, repousserent ces colonnes, les mirent en désordre, tuerent 300 hommes, et firent 67 prisonniers, parmi lesquels se trouvaient quatre officiers.
Le Général de Pahlen, avec la brigade de cavalerie du Général de Korff, attaquerent diverses colonnes Françaises qui marchaient contre la division du Général de Sacken, les culbutèrent et prirent une aigle. Le régiment des hussards d'Isum et celui des dragons de Courlande, firent avec le même succès plusieurs charges contre l'ennemi, qui se voyant ainsi repoussé de tous côtés avec tant de vigueur et avec une perte considérable, rassembla ses forces du mieux qu'il put, et les forma en colonnes considérables qui se portèrent sur notre aile gauche dans le dessein de la tour
Le Général Bagavoust étant trop faible pour résister à des forces aussi supérieures, se trouva obligé d'évacuer et d'incendier le village de Serpallen, qu'il avait occupé jusques-là, afin de prendre une autre position. Sa cavalerie, qui était postée en avant de lui, attaqua l'ennemi à plusieurs reprises, mais fut enfin obligée de se retirer derrière notre aile gauche. Pendant ce temps-là, l'ennemi continuait à se renforcer, et exécutait son plan de tourner notre gauche.
Le Général Kaminsky, qui avait déjà envoyé quel ques renforts au Général Bagavoust, envoya alors à sa gauche les régiments de Uglitz et Kostroma, et fit occuper le village de Vilen-Sansgarten par le régiment de Resan. Le Comte Ostermann voyant s'avancer sur lui une force très-supérieure, jugea nécessaire de faire retirer sa gauche en arrière; le Général Bagavoust la rejoignit peu de temps après, pendant que de fortes colonnes Françaises s'avançaient rapidement, avec une artillerie considérable et des tirailleurs en avant, et étaient presque au moment de nous tourner. Quoique le Comte Ostermann eût reçu l'ennemi avec un feu de mousqueterie très-vif, et l'eût chargé à plusieurs reprises à la bayopette, il fut obligé de céder, malgré ses efforts continuels. L'ennemi passait déjà derrière notre gauche, et obligeait les divisions de Sacken et d'Osterman de prendre position en arriere, en multipliant toutes ses attaques sur ce seul point, et nous forçant vigoureusement à reculer. Je fis avancer alors mon artillerie à cheval, Le Général Kutaisoff et le Colonel Jarmatoff posterent leurs batteries sur une hauteur et firent un feu si vif sur l'ennemi qu'il s'arrêta sur-le-champ, évacua la ferme d'Auk Cappen qu'il avait occupée, et s'enfuit dans le plus grand désordre. En même temps, le Général Tschaplitz qui commandait un détachement de cavalerie, attaqua l'ennemi dans le village de Kluskitten, l'en chassa, ehargea les colonnes de l'ennemi, et les anéantit presque entierement.
Pendant que ces événements se passaient, le Lieutenant-Général Lestocq arriva sur le champ de bataille avec le corps de Prussiens qu'il commandait, et deux régiments d'infanterie russe, venant en toute hâte renforcer notre aile gauche. Aussitôt qu'il eut joint la division du Général Kamenskoi et le détachement du Général Von Tschaplitz, il marcha sur l'ennemi, faisant toujours un feu très-vif de sa batterie. Il se porta avec rapidité sur la gauche de l'ennemi, dans le dessein de le tourner, et le poursuivit jusqu'à ce que la nuit fût venue, qui lui fit lever la pour suite. L'arrivée du Lieutenant-Général Lestocq et l'actis vité avec laquelle il exécuta tous ses mouvements, contri, buerent beaucoup à nous assurer la vieteirë. Tandis que les balteries de notre gauche caponaient vivement l'ennemi, et pendant que le Général Lestocq commençait à le poursuivre, l'ennemi qui avait occupé le village de Schloditten, n'osa pas attaquer notre aile droite, qui ne consistait que dans la seule division du Général Tautschoff, parce qu'elle était protégée par le feu d'une forte batterie Prussienne, que le General Fock y avait placée sur une éminence. À la tombée de la nuit, je fis chasser l'ennemi du village de Schloditten, où il perdit bon nombre d'hommes. Les Cosaques se distinguèrent particulierement pendant la bataille, et firent 470 prisonniers.
Cette sanglante bataille qui commença le 7 Février à trois heures après-midi, se termina le lendemain à minuit. La perte de l'ennemi, de son propre aveu, s'éleve à 30 mille hommes tués et 12000 blessés; nous avons fait 2000 prisonnjers, et il est tombé 12 aigles en notre pouvoir. Notre perte consiste en 12000 tués et 7900 blessés. Il y a eu quatorze généraux Français de tués ou blessés. Nous avons neuf officiers-généraux blessés, mais la plupart si légèrement qu'ils ont déjà rejoint l'armée.
Je manquerais au premier de mes devoirs, si j'oubliais de rendre aux troupes de Sa Majesté le témoignage honorable qui leur est dû à si juste titre, pour la bravoure et la persévérance qu'elles ont montrée, et d'assurer Votre Majesté que son armée, en acquérant une nouvelle gloire immortelle, a offert au monde l'exemple et la preuve à jamais mémorable de tout ce que peut faire un peuple qui combat pour la défense de son pays, et pour remplir, au prix de son sang et de sa vie, les vues généreuses d'un monarque qu'il adore. C'est en vain que Buonaparte a prodigué ses vastes ressources; en vain il a cherché à exciter le courage de ses soldats; en vain il a sacrifié une portion considérable de son armée : la bravoure et la constance de l'armée Russe ont résisté à tous ses efforts, et lui ont enfin arraché une victoire long-temps douteuse.
Comme je suis resté maître du champ de bataille, j'y suis demeuré toute la nuit, et j'ai considéré alors ce qu'il y avait à faire. Je suis fort aise aujourd'hui d'avoir pris la détermination de me porter vers Konigsberg; je pouvais m'y procurer d'abondantes ressources de toute espèce pour l'armée, et donner à mes soldats, après des travaux si longs et si glorieux, le repos dont ils avaient besoin, tandis que l'armée Française affaiblie et découragée, restait sous les armes. J'espérais, en me portant ainsi en arrière, engager l'armée Française à me suivre; mais il n'y a eu que douze régiments de cavalerie, sous le commandement du Maréchal Murat, qui l'aient tenté, et ils ont été presque détruits auprès de Mansfeld. Après cette nouvelle perte, l'ennemi a commencé sa retraite.
(Signé)
Le baron de Bennigsen. »
« Konigsberg, 25 Mars, 1807.
Le 6 Février, je partis de Landsberg, avec mon armée qui, en raison de plusieurs détachements que j'avais faits, n'était forte que de soixante-dix mille hommes. L'armée française, composée des cinq corps des maréchaux Augereau, Soult, Murat, Davoust et Ney, qui furent joints, dans la soirée par Bernadotte, était forte de quatre-vingt-dix mille hommes; elle me suivit de près, et attaqua sans relâche mon arriere-garde, composée des brigades des généraux Marcoff, Bagawoust, et Barclay de Tolly, sous les ordres du prince Bagration.
Lorsque j'arrivai à Preussisch-Eylau, je fis prendre à mon armée une position à peu de distance derriere la ville, et donnai ordre à l'arriere-garde de se maintenir dans le poste qui lui avait été assigné, afin de protéger la marche de ma grosse artillerie à laquelle j'avais été obligé de faire faire un détour considérable, en partie, pour éviter des routes presqu'impraticables, et en partie pour faciliter la marche de mes colonnes. En même temps, je fis occuper la ville de Preussisch-Eylau par le Général Barclay de Tolly, et je détachai quelques régiments de la huilieine di, vision pour soutenir l'arriere-garde. Ce renfort mit le Général Marcoff en état de prendre une forte position, et d'élever une batterie. L'ennemi ne tarda pas à suivre le Général Marcoff, envoya ses troupes légeres en avant, et marcha en trois fortes colonnes contre les hauteurs occupées par le Général Marcoff. Ce Général envoya ces tirailleurs au-devant de l'ennemi, et commença une canonnade à mitrailles sur les colonnes; mais, comme elles continuerent à s'avancer, les régiments de Pskoff et de Sophie chargerent l'ennemi à la baïonnette, et disperserent une des colonnes. La seconde fut culbutée par le régiment des dragons de St. Pétersbourg, et presqu'anéantie; et la troisieme fut détruite par le feu de notre artillerie, commandée par le brave Colonel Jermaloff. L'ennemi commença alors à canonner notre ligne, et à marcher contre elle en quatre colonnes, tandis qu'une cinquieme colonne dirigea sa marche contre notre aile gauche, dans le dessein de la prendre en flanc. Les régiments de Pskoff et de Sophie étant trop faibles pour résister à cette charge, ils reçurent ordre de se replier, et le 21e de chasseurs, soutenus par le régiment des cuirassiers de la garde, les régiments de dragons de Kargopol et d'Ingermanland, et les hussards d'Elisabethgrod, eurent ordre d'attaquer. Les quatre régiments de cavalerie chargèrent la cavalerie ennemie qui allait prendre en flanc notre aile droite, et tuèrent beaucoup de monde à l'ennemi. Les batteries de la huitième division empêcherent l'ennemi d'approcher sur notre aile gauche; et le régiment de hussards d'Isum chargea l'enpemi, de ce côté, avec un grand succès.
Quoique battu sur tous les points, l'ennemi recevant des renforts de tous côtés, menaçait de couper nos troupes les plus avancées; en conséquence, je leur ordonnai de se retirer. Elles se retirèrent sur-le-champ, ainsi que la huitieme division, par Preussisch-Eylau; toute l'arrière-garde prit la même route, et rejoignit le corps d’armée qui était rangé dans l'ordre de bataille suivant :
Les 5e, 7e, 8e, 3e et 2e divisions formaient deux corps, dont le second était disposé en une seule colonne; la 4e et la 14e division composaient la réserve. L'aile droite était commandée par le Lieutenant-Général Toutschkoff; le centre, par le Lieutenant-Général Baron Sackens; l'aile gauche, par le Lieutenant-Général Comte Ostermann; et toute l'avant-garde, par le Prince Bagrathion. Toute la cavalerie, sous les ordres du Lieutenant-Général Prince Galitzin, couvrait les deux ailes, quoiqu'il y en eût une partie dans la ligne. Les hauteurs, situées en avant de mon front, étaient occupées par nos batteries. Le Général Barclay de Tolly, et l'artillerie à cheval du Colonel Jermaloff qui avait couvert la retraite de l'arriere-garde, était encore à Preussisch-Eylau; mais l'ennemi marcha contre la ville avec des forces si considérables, que le Général Barclay, quoiqu'il ait fait des prodiges de valeur, fut obligé de céder au nombre et de se retirer. Aussitôt que je m'en aperçus, j'envoyai la 4e division pour l'appuyer : elle marcha en trois colonnes, renversa tout ce qui voulut lui résister, et reprit la ville d'assaut. L'ennemi perdit considérablement de monde dans cette attaque, quoiqu'il eût placé des canons dans les rues, et qu'il tirât sur nous des fenêtres. Le Général Barclay fut blessé sévèrement au bras.
Lorsqu'à l'approche de la nuit, le feu de l'ennemi eut entierement cessé, je retirai toutes les troupes de la ville, dans le dessein de réunir toutes mes forces de l'autre côté, et de tout préparer pour une attaque générale, le lendemain; et, afin de n'être point exposé à une alerte de nuit, je plaçai la 4e division, que je renforçai du régiment d'Archangel, entre la ville et l'armée, tandis que le corps détaché du Général Barclay se tint très-près de l'aile gauche du Général Bagavoust.
Le 8 Février, à cinq heures du matin, je formai deux colonnes au milieu de ma position, et en donnai le commandement au Lieutenant-Général Doctoroff; je plaçai la troisième colonne, composée de la division du Général Conte Kaminskoi, à mon aile gauche. La brigade du Général Marcoff remplissait le vide qu'il y avait dans ma ligne, par la disposition en colonnes de la 7e division.
Au point du jour, l'ennemi traversa la ville, et j'envoyai à sa rencontre quelques régiments de chasseurs. J'aperçus, en même temps, plusieurs colonnes Françaises entre la ville et la hauteur qui est à la droite, et sur laquelle l'ennemi avait des batteries, qui, ainsi que les colonnes, menaçaient mon centre. Je fis sur-le-champ diriger le feu de nos batteries contre l'artillerie ennemie et sur les troupes qui défilaient de la ville, ce qui obligea les colonnes Françaises de s'arrêter.
D'un autre côté, la cavalerie Française, qui avait attaqué le Général Toutschkoff sur sa droite, fut obligée de se retirer par l'effet du feu de l'artillerie du Comte Sievers. L'ennemi s'efforça de prendre un village situé en avant de notre aile droite, et semblait menacer notre flanc droit avec des forces considérables; mais je réussis à le déloger promptement du village contre lequel j'envoyai le 24e régiinent de chasseurs et quelques autres tirailleurs. Dans les entrefaites, nous vîmes plusieurs colonnes des gardes Françaises qui traversaient Preussich-Eylau, et qui allaient attaquer mon aile droite et mon centre. Le Général Toutschkoff fit, sur-le-champ, avancer le Major-Général de Fock avec sa brigade qui, soutenue par deox régiments de dragons, chargea l'ennemi à la baïonnette, le chassa devant elle, et lui tua beaucoup de monde. L'ennemi se retira eix désordre, laissant derriere lui huit pieces de canon. Le Général Zapolsky qui, par ordre du Général Doctoroff, s'étendit avec une des colonnes de réserve qui étaient placées derriere le centre, reçut l'ennemi avec un feu de mousquetterie bien dirigé qui le força à se retirer, et, sans lui donner le temps de se rallier, le Général Zapolsky les chargea à la baïonnette, les culbuta, prit une aigle, et 130 hommes, Dans le même temps, plusieurs-escadrons de cavalerie Française, soutenas par de l'infanterie, s'avancerent sur la gauche de notre centre, et eurent la témérité de passer dans un interstice de notre avant-garde; mais ils furent attaqués par les Cosaques et quelque cavalerie avec une telle impétuosité qu'ils furent taillés en pièces et qu'il n'en échappa que dix-huit hommes. L'infanterie qui soutenait ces escadrons fut repoussée par le régiment des grenadiers de Moscow, sous le Prince Charles de Mecklenbourg Schwerin, et le régiment d'infanterie de Slusselbourg, que le Général d'Essen avait détachés à cet effet. L'infanterie ennemie se retira vers les colonnes qu'elle rejoignit, mais qui furent repoussées par notre Général Zapolsky.
Dans ce moment, cette colonne renforcée par deux autres colonnes de cavalerie Française, renouvela l'attaque, mais fut repoussée par les Généraux Somoff et Zapolsky, deux régiments de cavalerie qui avaient été postés derriere notre front, et qui tomberent alors sur l'ennemi avec une grande impétuosité. Le Comte O'Rourke, avec trois escadrons des hussards de Pawlogrod, torba sur la colonne pendant sa retraite, et la poursuivit jusqu'à ce qu'elle fût sous la protection du canon enneini. Les régiments de St. Pétersbourg, dragons, et de Wladimir, infanterie, prirent deux aigles. Dans sa retraite, l'ennemi abandonna vingt pièces de canon. Les tirailleurs du Général Sacken firent manquer l'attaque que l'ennemi fit sur notre aile droite. Le Général Bagavoust qui occupait la village de Serpallen avec un détachement de l'avant-garde, fut attaqué, au point du jour; il se défendit avec ses tirailleurs seulement; mais la manouvre de l'ennemi indiquant l'intention de faire le tour du village, le Général Kochowsky, avec son régiment de ulhans Lithuaniens, et le régiment de cuirassiers de la petite Russie, marcha sur l'ennemi et le força à se retirer dans le plus grand désordre, et à se jeter dans un bois. Les mêmes régiments tomberent sur d'autres colonnes d'infanterie Française qui s'avançaient, appuyées par de la cavalerie, sur notre centre, repousserent ces colonnes, les mirent en désordre, tuerent 300 hommes, et firent 67 prisonniers, parmi lesquels se trouvaient quatre officiers.
Le Général de Pahlen, avec la brigade de cavalerie du Général de Korff, attaquerent diverses colonnes Françaises qui marchaient contre la division du Général de Sacken, les culbutèrent et prirent une aigle. Le régiment des hussards d'Isum et celui des dragons de Courlande, firent avec le même succès plusieurs charges contre l'ennemi, qui se voyant ainsi repoussé de tous côtés avec tant de vigueur et avec une perte considérable, rassembla ses forces du mieux qu'il put, et les forma en colonnes considérables qui se portèrent sur notre aile gauche dans le dessein de la tour
Le Général Bagavoust étant trop faible pour résister à des forces aussi supérieures, se trouva obligé d'évacuer et d'incendier le village de Serpallen, qu'il avait occupé jusques-là, afin de prendre une autre position. Sa cavalerie, qui était postée en avant de lui, attaqua l'ennemi à plusieurs reprises, mais fut enfin obligée de se retirer derrière notre aile gauche. Pendant ce temps-là, l'ennemi continuait à se renforcer, et exécutait son plan de tourner notre gauche.
Le Général Kaminsky, qui avait déjà envoyé quel ques renforts au Général Bagavoust, envoya alors à sa gauche les régiments de Uglitz et Kostroma, et fit occuper le village de Vilen-Sansgarten par le régiment de Resan. Le Comte Ostermann voyant s'avancer sur lui une force très-supérieure, jugea nécessaire de faire retirer sa gauche en arrière; le Général Bagavoust la rejoignit peu de temps après, pendant que de fortes colonnes Françaises s'avançaient rapidement, avec une artillerie considérable et des tirailleurs en avant, et étaient presque au moment de nous tourner. Quoique le Comte Ostermann eût reçu l'ennemi avec un feu de mousqueterie très-vif, et l'eût chargé à plusieurs reprises à la bayopette, il fut obligé de céder, malgré ses efforts continuels. L'ennemi passait déjà derrière notre gauche, et obligeait les divisions de Sacken et d'Osterman de prendre position en arriere, en multipliant toutes ses attaques sur ce seul point, et nous forçant vigoureusement à reculer. Je fis avancer alors mon artillerie à cheval, Le Général Kutaisoff et le Colonel Jarmatoff posterent leurs batteries sur une hauteur et firent un feu si vif sur l'ennemi qu'il s'arrêta sur-le-champ, évacua la ferme d'Auk Cappen qu'il avait occupée, et s'enfuit dans le plus grand désordre. En même temps, le Général Tschaplitz qui commandait un détachement de cavalerie, attaqua l'ennemi dans le village de Kluskitten, l'en chassa, ehargea les colonnes de l'ennemi, et les anéantit presque entierement.
Pendant que ces événements se passaient, le Lieutenant-Général Lestocq arriva sur le champ de bataille avec le corps de Prussiens qu'il commandait, et deux régiments d'infanterie russe, venant en toute hâte renforcer notre aile gauche. Aussitôt qu'il eut joint la division du Général Kamenskoi et le détachement du Général Von Tschaplitz, il marcha sur l'ennemi, faisant toujours un feu très-vif de sa batterie. Il se porta avec rapidité sur la gauche de l'ennemi, dans le dessein de le tourner, et le poursuivit jusqu'à ce que la nuit fût venue, qui lui fit lever la pour suite. L'arrivée du Lieutenant-Général Lestocq et l'actis vité avec laquelle il exécuta tous ses mouvements, contri, buerent beaucoup à nous assurer la vieteirë. Tandis que les balteries de notre gauche caponaient vivement l'ennemi, et pendant que le Général Lestocq commençait à le poursuivre, l'ennemi qui avait occupé le village de Schloditten, n'osa pas attaquer notre aile droite, qui ne consistait que dans la seule division du Général Tautschoff, parce qu'elle était protégée par le feu d'une forte batterie Prussienne, que le General Fock y avait placée sur une éminence. À la tombée de la nuit, je fis chasser l'ennemi du village de Schloditten, où il perdit bon nombre d'hommes. Les Cosaques se distinguèrent particulierement pendant la bataille, et firent 470 prisonniers.
Cette sanglante bataille qui commença le 7 Février à trois heures après-midi, se termina le lendemain à minuit. La perte de l'ennemi, de son propre aveu, s'éleve à 30 mille hommes tués et 12000 blessés; nous avons fait 2000 prisonnjers, et il est tombé 12 aigles en notre pouvoir. Notre perte consiste en 12000 tués et 7900 blessés. Il y a eu quatorze généraux Français de tués ou blessés. Nous avons neuf officiers-généraux blessés, mais la plupart si légèrement qu'ils ont déjà rejoint l'armée.
Je manquerais au premier de mes devoirs, si j'oubliais de rendre aux troupes de Sa Majesté le témoignage honorable qui leur est dû à si juste titre, pour la bravoure et la persévérance qu'elles ont montrée, et d'assurer Votre Majesté que son armée, en acquérant une nouvelle gloire immortelle, a offert au monde l'exemple et la preuve à jamais mémorable de tout ce que peut faire un peuple qui combat pour la défense de son pays, et pour remplir, au prix de son sang et de sa vie, les vues généreuses d'un monarque qu'il adore. C'est en vain que Buonaparte a prodigué ses vastes ressources; en vain il a cherché à exciter le courage de ses soldats; en vain il a sacrifié une portion considérable de son armée : la bravoure et la constance de l'armée Russe ont résisté à tous ses efforts, et lui ont enfin arraché une victoire long-temps douteuse.
Comme je suis resté maître du champ de bataille, j'y suis demeuré toute la nuit, et j'ai considéré alors ce qu'il y avait à faire. Je suis fort aise aujourd'hui d'avoir pris la détermination de me porter vers Konigsberg; je pouvais m'y procurer d'abondantes ressources de toute espèce pour l'armée, et donner à mes soldats, après des travaux si longs et si glorieux, le repos dont ils avaient besoin, tandis que l'armée Française affaiblie et découragée, restait sous les armes. J'espérais, en me portant ainsi en arrière, engager l'armée Française à me suivre; mais il n'y a eu que douze régiments de cavalerie, sous le commandement du Maréchal Murat, qui l'aient tenté, et ils ont été presque détruits auprès de Mansfeld. Après cette nouvelle perte, l'ennemi a commencé sa retraite.
(Signé)
Le baron de Bennigsen. »