Lettre d'un ancien gendarme de la Garde du Roi

De M. Adrien-Ambroise Texier, ancien gendarme de la Garde du Roi à sa mère, Mme Texier, à Nontron.

(Arch. nat., W 338, doss. 609, n° 79.)

[Coblentz. décembre 1791.]

... [On nous dit, ma chère maman], que, si nous rentrions en France, la tranquillité pourroit renaître et qu'on ramèneroit l'ordre avec l'abondance. Mais pendant plus de deux années la noblesse a souffert vainement et très inutilement des outrages. Tant que les causes de l'anarchie subsisteront, on doit attendre les mêmes effets. Ce sont les bases de la constitution qui sont essentiellement vicieuses ; il faut la refondre en entier ; il faut régénérer les principes de vie du gouvernement. Ce n'est point avec une assemblée nationale comme la nôtre qu'il faut s'attendre à composer. Ils n'ont pas d'ailleurs le pouvoir de rien changer à cette constitution, dont on leur a remis le dépôt. Il est bien démontre par les faits que cette constitution si vantée est la ruine du peuple, en même temps que l'effroi des propriétaires. Il n'est que trop vrai que nous ne sommes sortis du royaume, que nous n'avons pris les armes qu'après une continuité d'horreurs, d'anarchie, d'impunité de crimes, prolongée pendant deux années entières. La patience et la résignation individuelles sont de toute inutilité. Loin de tendre à la fin de ces troubles intestins, le germe toujours subsistant alloit toujours croissant. Avec cette constitution, il n'y avoit pour les êtres raisonnans que deux partis à prendre : celui de se faire une autre patrie, en abandonnant leurs concitoyens à leur malheureux sort, et le parti le plus courageux de repousser par la force des principes destructeurs de tout gouvernement. Cette dernière marche étoit digne de la noblesse françoise. Je ne voudroispas, pour tout au monde, ne pas lavoir adoptée. Combien je désirerois que mon frère pensât comme moi ! Ce nest pas pour son intérêt particulier, pour son avancement, pour les suites inévitables qui vont retomber sur les militaires accusés de démagogie. Ces causes sont secondaires; mais je le désire pour son honneur...

Adieu, ma chère maman, je vous désire une aussi bonne santé qu'à moi. Je vous embrasse et vous chéris bien tendrement.

P.-S. — J'oubliois, dans l'article des nouvelles politiques, de vous répéter qu'il est très certain qu'au printemps nous aurons le roi de Suède à la tête d'une armée de Russes et de Suédois. Tous les princes de l'Empire se préparent à fournir les troupes qu'ils doivent aux cercles de l'Empire. La Prusse, au moyen de son traité d'alliance avec l'Empire, ne restera pas neutre. Déjà l'Espagne et la Savoie sont déclarées. Voilà quels seront nos moyens pour ouvrir la campagne.

Le nouvel ambassadeur Sainte-Croix a déjà éprouvé bien des humiliations. En arrivant, il fut conduit chez le grand-prévôt par deux soldats, et puis son hôte l'expulsa de son logement, parce que 200 François qui mangeoient dans cette auberge avoient quitté leurs tables.

Source : La Révolution racontée par des correspondances privées, 1789-1794.

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