Les gendarmes du roi et la bataille de Ramillies

En 1706, les gendarmes de la garde se rendirent derechef dans l'armée de S. A. S. E. de Bavière & du maréchal de Villeroy, toujours de brigade avec la maison du roi, qui fut de la marche de l'armée ; le 23 mai, jour de la Pentecôte, elle rencontra les Ennemis au village de Ramillies, où se donna le combat; selon l'ordre de bataille, les gendarmes furent postés à la gauche des gardes du corps, qui ocupoient la droite de l'armée; quoique cette journée ne fut point favorable aux armes de France, elle ne laissa pas d'être très-glorieuse, tant aux gendarmes, qu'aux chevaux-légers de la garde, qui combattirent toujours ensemble, & firent connoître qu'ils étoient acoûtumes à vaincre; en effet le prince de Rohan, capitaine-lieutenant des gendarmes & lieutenant-général des armées du roi, qui commandoit ces deux corps, n'eut pas plûtôt aperçû que les escadrons ennemis n'avoient aucun intervale entr'eux, & qu'ils venoient à lui très-serrés, qu'il commanda à ces deux illustres corps de se presser de la même manière, ce que firent aussi les régimens de Courcillon aujourd'hui Béthune, de Cano-Cavalerie, &c. & marchèrent à leur rencontre aussi serrés qu'eux; ce fut dans ce moment que le prince Maximilien de Rohan, second capitaine sous-lieutenant des gendarmes, fut tué d'un coup de feu, par un officier qui commandoit un escadron des ennemis, lorsque ce prince animoit les siens au combat par un discours pathétique; les gendarmes consternés de ce funeste accident, vengèrent sur l'heure sa mort, en tuant l’officier, sans lui donner le tems de se reconnoître, & en attaquant la première ligne des ennemis, qu'ils enfoncèrent & culbutèrent, de même que la seconde, à laquelle ils marchèrent sans s'arrêter, les poursuivirent jusqu'à l’abbaye de Boneffe, où étoient les équipages des ennemis; cette excessive ardeur leur coûta cher, parce que s'étant trop écartés de la droite de leur armée, il fallut pour la rejoindre se faire un passage à travers de toute la cavalerie de l'aile gauche des ennemis, qui avoit chargé la droite de la maison du roi en tête, en flanc & en queuë, & qu'ils trouvèrent rangés en bataille presque troupes sur troupes : les gendarmes, chevaux-légers de la garde, le Regiment de Courcillon, &c. peu étonnés d'un contre-tems si fâcheux & d'un péril si évident, marchent avec un grand sang froid, & une présence d'esprit admirable, & chargent ces premieres troupes, qui s'opposoient à leur passage, les culbutent & se font jour pour poursuivre leur retraite, & rejoindre l'armée françoise qui se retiroit; arrivés, après avoir fait des prodiges d'une valeur sans exemple, sur le champ de bataille où la droite de la maison du roi avoit chargé, ils trouvent encore un corps très-considérable de cavalerie ennemie, qui s'oppose à leur route; tous ces obstacles, qui paroisient presque insurmontables, ne font cependant pas capables de les intimider, ni de les ébranler; & prenant une généreuse résolution de périr plûtôt que de reculer, l'escadron des gendarmes, celui des chevaux-légers, avec les deux de Courcillon, quoique très-affoiblis par les grandes pertes qu'ils avoient faites, vont encore sans balancer afronter ce gros corps avec une intrépidité inouïe; mais comme ils étoient extrêmement inférieurs aux ennemis, le marquis de Trênel, premier capitaine sous-lieutenant & maréchal de Camp, se voiant dans un danger évident, comme il vouloit conserver au roi cette troupe si estimable, prête à être immolée, étant attaquée par derrière & de tous côtés, fit succeder la raison à la temerité : c'est pourquoi il cria très à propos à gauche, de forte que ces quatre escadrons envelopés de toutes parts, se jetterent, sans perdre de tems, dans une prairie, dont le terrein leur parut au commencement bon & ferme; mais les ennemis qui le connoissoient beaucoup mieux qu'eux, & sçachant qu'il y avoit un marais, les chargerent en queuë, afin de les y pousser, & comme il ne fut pas possible à ces quatre escadrons de se ralier, ils perdirent insensiblement le terrain & y furent acculés sans espérance de pouvoir faire retraite; ces généreux corps se voyant dans cette extremité, se hazardèrent de franchir le marais, qui étoit au bout de la prairie, & d'y périr plûtôt que de subir la loi de leurs ennemis; il en fut tué en effet - un grand nombre dans ce lieu, parce que les ennemis les canardoient à l'aise; enfin par un bonheur inatendu, le régiment de Spare-Infanterie vient à leur secours, les retire du précipice par son feu extraordinaire, & empêche leur perte totale : on peut avancer ici sans hyperbole, que ce régiment acquit dans cette ocasion une gloire immortelle, ayant sauvé non-seulement ces quatre escadrons, mais encore plus de vingt mille hommes des troupes du roi, en arrêtant par un bataillon carré qu'il forma, la cavalerie ennemie dans la plaine, quoique très-nombreuse & infiniment supérieure aux troupes de France; il est vrai que cette cavalerie ennemie les poursuivit jusqu'à un défilé, qui va à Jodoigne; mais elle s'arrêta-là tout court, n'osant jamais passer plus avant. Ce fidèle récit doit faire connoître que de mémoire d'hommes, il ne s'est vû des troupes qui aient fait paroître plus de fermeté & de valeur, que firent les gendarmes & autres dans cette occasion; animés d'une noble émulation & d'une véritable gloire leur sang & leurs blessures, bien loin de les décourager, ne servirent qu'à augmenter leur courage, aussi Louis XIV, charmé de tant de bravoure, écrivit au prince de Rohan frère de celui qui fut tué, une lettre conçûe dans des termes qui immortaliseront leur nom : Je suis persuadé, (c'est Louis XIV) que si j'avois eu 20 escadrons de gendarmes & 20 princes de Rohan à leur tête, les ennemis malgré leur superiorité ne seroient pas où ils sont.

Liste des tués & des blessés.

Le prince Maximilien de Rohan, sous-lieutenant, fut tué.
Honoré-Louis de Gouffier, marquis d'Heilly enseigne, fut tué avec 20 gendarmes.
Le prince de Rohan, capitaine-lieutenant, frère du précédent, fut blessé avec 40 gendarmes.

Source : Abrégé chronologique et historique de la maison du roi, de Simon Lamoral.

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